Eisenhower, une Amérique oubliée
Professeure en histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire de l’Amérique du Nord, Hélène Harter a publié de nombreux ouvrages sur les États-Unis au XXe siècle dont Pearl Harbor (Tallandier, 2011) et Les États-Unis dans la grande Guerre (Tallandier, 2017). Elle a choisi de consacrer une biographie à Dwight Eisenhower, général très connu de la seconde guerre mondiale et 34e président des États-Unis, un peu oublié de nos jours. Et pourtant, la figure d’Eisenhower mérite d’être réévaluée comme le montre cet ouvrage.
Du Kansas à West Point
Né au Kansas, Eisenhower est issu d’une famille d’origine allemande, des petits commerçants durs à la tâche. Sportif, plutôt bon dans ses études, Eisenhower rêve d’aller à l’université et réussit finalement à entrer à West Point, preuve que l’ascenseur social fonctionnait alors aux États-Unis. Son but est de devenir officier, il y arrive. S’il fait un très beau mariage, Eisenhower, reconnu pour ses qualités d’instructeur, ne part pour l’Europe en 1917, contrairement à son ami Patton. C’est d’ailleurs le drame de sa vie : Eisenhower commande peu.
Un officier d’état-major qui devient chef d’une coalition
Eisenhower s’impose surtout par sa capacité de travail, de synthèse, son sens de la diplomatie. Et il en faut lorsqu’il travaille auprès de Douglas MacArthur, un des plus grands egos de sa génération, et faire face aux coupes budgétaires. Eisenhower suit son patron aux Philippines où le duo doit former l’armée locale pour faire face à la menace japonaise. Remarqué de longue date par Marshall, Eisenhower rentre à Washington et devient chef d’état-major en second. Si l’Amérique est encore neutre, la chute de la France pousse Roosevelt à réarmer et à reconstruire un outil militaire. Eisenhower excelle dans cet exercice et c’est tant mieux : l’attaque de Pearl Harbor et la déclaration de guerre allemande plonge les États-Unis dans le second conflit mondial. Eisenhower se fait remarquer pour ses qualités et finit vaille que vaille par diriger les troupes américaines et britanniques.
Le chef de guerre et le président
Hélène Harter montre avec brio qu’Eisenhower, soutenu par Roosevelt, s’impose par ses qualités de diplomate face aux anglais (sans compter les français) et de logisticien. C’est lui qui prépare en bon logisticien les débarquements en Afrique du Nord, en Sicile et en Normandie. Lui qui doit gérer les egos de Patton et de Montgomery. Eisenhower doit aussi gérer de Gaulle dont il finit par devenir un allié objectif : il laisse le gouvernement provisoire s’installer aux commandes de la France, gérer le pays. Et il n’évacue pas Strasbourg lors de l’offensive des Ardennes. En 1945, il est le chef militaire victorieux, charismatique. S’il refuse de se présenter en 1948, il accepte l’investiture républicaine en 1952. Conservateur, il s’allie avec Nixon, malgré sa réputation sulfureuse.
Devenu président, Eisenhower ne remet pas en cause les acquis sociaux du New Deal même s’il baisse certaines dépenses. Par contre, il met à la fin aux Maccarthysme et finit par entendre le mouvement des droits civiques. Il finit par soutenir les étudiants de Little Rock, nomme des juges progressistes dans le Sud et à la cour suprême, poursuit la déségrégation de l’armée et de ses écoles. Trop timide ? Peut-être mais il lance un mouvement qui sera amplifié par Kennedy et Johnson. Face à l’URSS, Eisenhower fait face même si son second mandat est plus difficile. Il est vrai que sa santé le trahit. Son dernier discours où il appelle les américains à se méfier de l’influence d’un complexe militaro-industriel, qu’il avait contribué à construire, résonne encore aujourd’hui.
À l’heure où le parti Républicain s’apprête à investir un Donald Trump responsable des émeutes du Capitole en janvier 2021 qui ont fragilisé l’Amérique, la figure d’Eisenhower, l’homme qui construisit le réseau autoroutier américain, le symbole d’une époque où l’Amérique symbolisait le progrès économique et la victoire face au nazisme, émeut.
Et cette biographie est tout simplement excellente.
Sylvain Bonnet
Hélène Harter, Eisenhower : Le chef de guerre devenu président, Taillandier, janvier 2024, 512 pages, 25 euros