« Dans l’enfer de Montretout », visite guidée du fief des Le Pen

Les Ewing ont Southfork, les Le Pen ont Montretout. Deux demeures d’envergure où le bonheur semble se refuser. Deux sagas familiales à succès. Olivier Beaumont, journaliste au service politique du Parisien – Aujourd’hui en France, retrace dans L’Enfer de Montretout la vie intime et politique de la famille Le Pen en prenant comme point focal le domaine de Montretout, perché sur les hauteurs de Saint-Cloud, et qui domine Paris. Le Pen en Rastignac ?

 

« À nous deux maintenant ! »

C’est l’héritage Lambert qui permet à Jan-Marie Le Pen de devenir riche et de se consacrer pleinement à son activité politique. Mais aussi qui l’ancre dans un fief. Son appartement vient de subir un très impressionnant attentat à la bombe et Jean-Marie Le Pen et sa petite famille sont à la rue. Personne ne veut louer ou vendre un bien à cette famille encombrante. Aussi, de mauvaise grâce, ils emménagent tous aux étages supérieurs de la propriété dont ils ont hérité quelque mois auparavant de l’usufruit partiel, des cousins Lambert demeurant au rez-de-chaussée. Drôle d’ambiance : un décor suranné, l’ombre de récent défunt dont le sang macule encore les draps, un isolement triste pour les filles… mais aussi une position sociale incontournable dorénavant. Après quelques mois de cohabitation difficile — sauf pour Marine qui deviendra copine avec la fille des « voisins », les deux petites jouant ensemble dans le parc —, le domaine devient enfin la pleine propriété de Jean-Marie Le Pen, dit « Le Menhir », qui s’y ancre et en fait le centre de sa vie familiale et politique.

C’est d’ailleurs ce mélange qui va engendrer tous les malheurs.

Quand la politique et la vie privée s’entremêlent

La politique vient s’installer à Montretout et, plutôt que d’aller au Paquebot (siège du FN), Jean-Marie Le Pen y fait venir son petit monde, qui par un cérémonial calculé vient comme faisant allégeance au seigneur. Ainsi tous les élus, les conseillers, les prétendants viennent chacun leur tour et parfois la promiscuité est incroyable, comme ce moment ou le compagnon des première lutte Roger Holeindre va se laver les mains dans la salle d’eau qui dépend de la chambre du couple, alors que Pierrette Le Pen y dort encore… Plus tard, même quand le fondateur sera exclu de son propre parti par sa propre fille, ils viendront encore, espérer un prêt de la Cotelec, organisme collecteur de fonds pour le compte du FN.

Bref, le centre du pouvoir prend le pas sur le centre de la vie familiale, même (et surtout) s’il s’agit du même lieu.

 

Est-ce vraiment l’enfer ? pour Pierrette, qui s’enfuit à la cloche de bois avec son amant, pour Marie-Caroline, qui quitte le clan pour rejoindre celui de Bruno Mégret le « puputschiste », pour Marine qui quitte le domaine bien des années plus tard, quand les chiens du père dévorèrent son chat adoré… Pas un enfer en soi, mais un enfer pour la vie familiale quand tout est mangé par la politique et par la personnalité écrasante de Jean-Marie Le Pen.

 

Un regard biaisé

C’est d’ailleurs en ce sens presque exclusif qu’est orienté Dans l’enfer de Montretout, montrer comment le Pater familias écrase tout, montrer que même s’il organise des fêtes fastueuses pour 500 personnes, c’est un pingre qui n’a jamais dépensé un sous pour le confort des siens. Chasser la petite bassesse ou le témoignage accablant (même à user d’anonymat…) pour bien montrer qu’on n’est pas séduit par son sujet.

On regrettera également que l’auteur abuse d’un ton condescendant et d’un vocabulaire volontiers dépréciatif (Montretout est ainsi la « tanière »… le conseiller de Saint-Afrique est « tout en génuflexion »… quand la jeunesse pauvre de Jean-Marie Le Pen est rappelée c’est avec cette injonction « sortez les mouchoirs »…), ce qui nuit un peu à la lecture. Si on ne pense pas ouvrir un livre affectueux, un livre neutre eut été déjà une belle gageure, mais le militant se dévoile vite sous le journaliste.

 

Dans l’enfer de Montretout reste malgré cela un point de vue intelligent et passionnant sur un des lieux emblématiques de la vie politique française contemporaine.

 

Loïc Di Stefano

 

Olivier Beaumont, Dans l’enfer de Montretout, J’ai lu, mars 2018, 320 pages, 7,40 euros

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