« L’Opticien de Lampedusa », du drame des migrants
Si certains se souviennent que Lampedusa est le nom de l’auteur du roman Le Guépard, la petite île italienne est surtout connue pour être le point d’entrée de la détresse africaine en Europe, l’endroit où les gâteaux d’infortunes viennent déverser les rares survivants d’une traversée inhumaine. Tous les reportages et toutes les images ne peuvent pas s’imposer à l’homme comme l’expérience de cette souffrance, et c’est le point de départ du roman d’Emma-Jane Kirby : L’Opticien de Lampedusa.
Vivant assez enfermé dans sa petite vie bourgeoise, entre sa boutique, son appartement au-dessus, sa femme et ses amis, l’opticien (jamais nommé autrement, comme s’il n’était défini que par son métier qui est de rendre la vue…) se heurte à la violence du réel lors d’une sortie en mer : du brouillard émergent des cadavres de migrants, et au risque de son propre péril il va charger le plus possible de survivants et les reconduire à terre. Comme une seconde naissance, l’expérience dramatique de l’Opticien va bouleverser sa vie et le conduire à un altruisme qui va l’enrichir humainement.
Jamais il n’oubliera le contact de ces mains glissantes serrant la sienne. Jamais il ne s’est senti aussi vivant, animé d’une énergie née de ses entrailles.
Bien sûr, l’astuce d’un personnage opticien qui ne regardait pas et qui soudain voit est un peu lourde, et le roman souffre aussi sans doute d’une surcharge de bons sentiments et des émotions de l’auteur, mais le roman est assez prenant pour passer outre ces truismes. L’auteur parvient avec une écriture simple et assez chargée d’émotion de traiter ce sujet douloureux en en faisant une expérience d’éveil de conscience, comme ce fut son propre cas après son reportage comme journaliste à la BBC (primé en 2015 par le prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre), dont le roman est une manière d’exutoire.
A-t-il vraiment fait tout ce qu’il pouvait ? Des souvenirs troubles refont surface, des nuées de détails lui réapparaissent. Il pense à tous ces naufrages survenus au large de Lampedusa. Jamais il n’y avait prêté attention. La semaine dernière encore, il se revoit éteindre la radio, en entendant parler de migrants noyés au large des côtes siciliennes. Il a esquivé les problèmes. Il a refusé d’imaginer leurs mains suppliantes en prenant son petit déjeuner. Mais s’il avait été sur place ?
Loïc Di Stefano
Emma-Jane Kirby, L’Opticien de Lampedusa, traduit de l’anglais par Mathias Mézard, J’ai lu, août 2017, 156 pages, 5 euros