Les Pépites de la critique de cinéma – Les plus drôles, les plus impertinentes, les plus assassines…

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« Le film est encore plus bête que le titre. » Ce jugement du critique de France-Soir André Lang sur La Comtesse aux pieds nus fait partie de toute une série de citations extraites d’articles de presse et réunies par Laurent Bourdon dans Les Pépites de la critique de cinéma. On ne dit plus « anthologie », on dit « best of ». Mais du best of au worst of, il n’y a qu’un pas.

Inutile de nier : on sourit souvent en découvrant certaines formules, et, à vrai dire,rien n’empêche a priori de lire ces cent cinquante pages comme les enfants lisent les blagues Carambar. Il y a d’abord tous ces jeux de mots. Par exemple, ce commentaire de Jean-Paul Grousset sur Les Dents de la mer paru en février 1976 dans Le Canard enchaîné : « Réservé au public qui mord à l’hameçon. » Mais ce recueil, concocté par Laurent Bourdon, s’intitule Les Pépites de la critique de cinéma — Les plus drôles, les plus impertinentes, les plus assassines… — ce dernier adjectif étant même imprimé en rouge sur la couverture — et donc, ici, on juge.

Oui, ici, on juge… et c’est la raison pour laquelle les choses assez vite se compliquent. Évidemment, les gens qui n’aiment pas Audiard approuveront vigoureusement ce rédacteur des Cahiers du cinéma qui, en 1956, écrivait : « L’humour de Michel Audiard est, quoi qu’on en dise, très inférieur à celui du Sapeur Camember. » Évidemment, les allergiques à Marguerite D. boiront du petit lait en découvrant que Claude Elsen avait écrit en 1959, dans Rivarol, à propos d’Hiroshima mon amour : « Le texte de Mme Marguerite Duras dissimule mal une niaiserie sentimentale assez accablante. » Mais de tels jugements, ou plus exactement de telles méchancetés sont-elles toujours justifiées ?

Car il arrive que le temps qui passe fasse de l’arroseur un arroseur arrosé. En octobre 1952, Henry Magnan écrivait dans Le Monde, à propos du film de Fred Zinnemann Le Train sifflera trois fois : « À travers les rues de la ville [est organisé] un bref remake de La Chevauchée fantastique, qui sera au film de John Ford ce qu’un pistolet à eau est à une mitraillette moderne. » Pistolet à eau ? C’est bien plutôt ce jugement qui, aujourd’hui, apparaît comme un pétard mouillé.

Certains « chemins de Damas » sont d’ailleurs assez piquants. En 1953, lorsque sort en France Chantons sous la pluie, Louis Chauvet publie dans Le Figaro le commentaire suivant : « On sourit cinq minutes ! puis cette longue parade ennuie le bon goût. » Quelques années plus tard, c’est le même Louis Chauvet qui explique qu’on ne se lasse pas de revoir ce film enchanteur.

En fait, l’affaire qui se joue ici est un peu plus sérieuse qu’on pourrait le croire. Si l’on admet qu’il n’y a pas d’art sans histoire de l’art et si l’on estime, avec certains, que l’histoire de l’art s’écrit, au moins dans un premier temps, à travers la critique, certains journalistes feraient mieux d’être tout simplement un peu plus mesurés.  

Quand, en novembre 1966, Jean-Louis Comolli assassine Frederick Stafford dans les Cahiers en disant que celui-ci est « immatériel à force de transparence », se rend-il compte qu’il est à côté de la plaque ? Frederick Stafford est peut-être immatériel, mais comme, en l’occurrence, il n’est pas censé incarner Hamlet, mais le héros d’À tout cœur à Tokyo pour OSS 117, autrement dit d’un film qui se veut divertissement, il n’est pas loin d’être parfait pour le rôle.

 Ne parlons pas des jugements-procès de Moscou où le verdict tombe avant même que le procès ne commence : « Ce genre de film policier nous ramène au niveau mental et moral des bandes dessinées américaines pour analphabètes adultes », écrivait Armand Monjo dans L’Humanité en 1964 à propos de Bons baisers de Russie. Il n’avait même pas vu, semble-t-il, que les méchants de ce « Bond » n’appartiennent pas aux services secrets soviétiques, mais au SPECTRE commandé par le vilain Blofeld.

Que dire des attaques mesquines qui semblent relever du règlement de comptes personnel ? En 1946, François Chalais se croyait sans doute très fin en affirmant dans Carrefour : « Mlle Nattier est à peu près nulle. Elle erre dans Les Portes de la nuit avec la placidité terriblement bovine : c’est la vache qui regarde passer les métros. Ceci sans vouloir offenser personne. » Mlle Nattier n’était peut-être pas géniale, mais soixante-dix ans plus tard, Les Portes de la nuit continue d’être projeté dans les cinémathèques, et seuls quelques vieillards se souviennent encore que Les Chocolats de l’entracte était le titre d’un livre de François Chalais.

On nous permettra de préférer la générosité d’Henry Chapier (disparu il y a tout juste quelques semaines) affirmant en 1964 dans Combat, à propos du Fantômas d’André Hunebelle : « Jean Marais transcende l’ânerie de son rôle. » C’est là, et uniquement là, qu’il convient de chercher et de trouver la modernité chère à Baudelaire. Non pas dans la dénonciation des aspects stériles et négatifs de la nouveauté, mais dans le repérage des qualités positives qui peuvent se nicher dans l’amas des défauts.

Il y a, c’est une évidence, de mauvais films, des films ratés, des films exécrables. Et quel qu’ait pu être le travail d’un réalisateur ou de son équipe, ce sera toujours le résultat que jugera le spectateur. Mais le critique qui dit qu’un mauvais film est un mauvais film ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il n’est de bonne pédagogie que d’encouragement. Même si lui-même pouvait avoir en certaines occasions la dent dure, Jean-Louis Bory, qui tint longtemps la rubrique cinéma du Nouvel Observateur (du temps où ce magazine était encore nouvel et -ervateur), ne manquait pas de dire que la mission d’un critique consiste à partager avec le public ce qu’il aime.

FAL

Laurent Bourdon, Les Pépites de la critique de cinéma – Les plus drôles, les plus impertinentes, les plus assassines… Dunod, sept. 2018, 9,90 eur

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