GJ Arnaud un hommage
C’est avec une très grande tristesse que nous avons appris à Boojum mercredi la disparition de GJ Arnaud.
Une laconique info qui a mis trois jours à atteindre ses fans à leur plus grande stupeur.
L’homme-fleuve : GJ Arnaud
De son vrai nom George-Camille Arnaud il était l’un des derniers auteurs populaires du paysage éditorial et littéraire français. L’un des plus prolifiques. De cet acabit là ne restent plus que Pierre Pelot et Serge Brussolo. Dignes successeurs d’une époque où il fallait produire à un rythme soutenu pour vivre de sa plume.
Car il a bien roulé sa bosse GJ Arnaud. Dans tous les genres possibles et imaginables de la paralittérature.
Un véritable stakhanoviste de le remington.
Sf, polar, espionnage, fantastique, aventure, historique, érotique ! Romans, nouvelles, feuilletons, sagas ! Bds, films, jeux de rôles et gamings s’en sont inspirés aussi !
Tous les domaines du divertissement ont porté sa patte.
Plus de 400 livres sous son nom ou ses pseudonymes connus (au moins 20 dont Gil Darcy et Saint Gilles).
Le plus souvent pour la maison du Styx, les Éditions Fleuve Noir. Colonne vertébrale qui, sous l’égide de pionniers, ancra les genres populaires sur le marché français en un âge d’or équivalent à celui des USA des années 30/40.
D’abord en policier puis en espionnage, genre prisé d’un temps où la guerre était dite froide. La série du Commander en-tête. Et des one shot inoubliables comme Enfantasme, L’Homme noir ou Les Jeudis de Julie.
Côté imaginaire son empreinte est tout autant indélébile pour les amateurs du genre. D’abord un essai réussi avec la trilogie de La Grande Séparation, jubilatoire et improbable mix digne d’ER Burroughs !
GJ Arnaud et compagnie
Puis l’incroyable et immarcescible Odyssée de La Compagnie des Glaces. Cas unique en France, avec collections dédiées, omnibus et études critiques. Seulement dépassé ailleurs par l’inusable Perry Rhodan, Space Opera immortel d’outre-Rhin.
Près de 100 volumes répartis entre le cycle central (68 tomes) et ses crossovers. Une préquelle déterminante de 11 volumes sur les origines de l’effondrement et l’émergence de la civilisation ferroviaire en mode revival glaciaire. Sans oublier sa suite de 24 tomes !
Un stupéfiant univers en mode 1984, de guerre perpétuelle entre états ferroviaires rivaux, surgeons difformes et militaristes des nations anciennes. Dans un décor post’ap de retour à l’âge des glaces.
Il nous offrit alors des visions improbables et iconique :
Inlandsis infinis, banquises iridescentes, cités enfouies sous les gouffres glacés, convois ferrés de milliers de wagons sur des centaines de voies… Entre rêves (les baleines habitats volants des hommes-jonas) ou cauchemars (les batailles abominables entre cuirassés, les ravages d’une cavalerie de l’apocalypse par des chevaux carnivores), sa saga laisse pantois tout lecteur qui s’y risque !
Surtout, son art de l’écriture, son style et sa maîtrise du feuilleton à rebondissements en mode polyphonie, accroche le lecteur à tous les personnages ou presque.
On ne peut pas oublier de sitôt cette assemblée devenue mythique.
D’abord la racine avec Jdrien le glaciologue utopiste et ses fils du chaud et du froid, maudits et ennemis, Yeuse la circacienne amoureuse et le gnome du cabaret Miki au destin de citizen Kane. Sans oublier les hommes et les femmes rousses comme Jdrou bien sûr. Ces quasi-Yetis asservis par les hommes du chaud, les seuls humanoïdes adaptés aux glaces. Mutants ou cobayes du monde fou du collapse. Ils en seront le secret fil rouge, le révélateur constant du drama cyclopéen.
Le grand oeuvre
GJ Arnaud ce sera aussi l’un des piliers de la collection « Angoisse » , l’un de ceux qui transforma un obscur courant de littérature de gare en genre fantastique moderne !
Tels La dalle aux maudits, Le Dossier Atrée, Ils sont revenus, La mort noire devenus cultes auprès des aficionados du genre.
Un recueil de romans publié en 1999 dans une collection devenue essentielle de rééditions du Fleuve Noir, La Bibliothèque du Fantastique, compile cet excellent choix de ses titres « Angoisse » . On se délecte des enquêtes surnaturelles, des décennies avant X-Files ! , du Bureau Universel de Recherches des Anomalies Sociologiques. Éminence grise qui lutte contre les forces les plus maléfiques et la survivance de leurs pestilences : riches anthropophages, SS mort-vivant hantant les souterrains pragois. Et bien sûr le cruel et si actuel La Mort noire. Deux épidémies et deux époques pour le prix d’une en Occitanie : peste et nazisme !
Autant dire l’ampleur du grand œuvre de GJ Arnaud ! Il se range sans coup férir dans la bibliothèque des grands auteurs populaires, ces héritiers des feuilletonistes du XIXème siècle. Après Dumas et Verne, à la suite de Simenon, contemporain de Léo Malet, GJ Arnaud est le digne successeur d’une belle tradition. Surtout il est l’inspirateur de nombres d’écrivains qui après lui n’ont pas hésité à écrire des livres univers à l’imagination débordante.
Ainsi Laurent Genefort cite GJ Arnaud comme l’un de ses inspirateurs. Si ce n’est à l’égal d’un Stefan Wul, SA figure tutélaire, tout au moins comme une filiation assumée, de celle dont les grandes familles sont fières.
Hélas, Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte.
Révérence et chapeau bas Monsieur.