Heinz Guderian, au-delà de sa légende…
Spécialiste de la seconde guerre mondiale, Jean Lopez, directeur de la rédaction de la revue Guerres et Histoire, n’est plus à présenter. Après ses ouvrages sur les combats du front de l’est qui ont vu le triomphe de l’art opératif soviétique, après sa biographie du maréchal Joukov, le voici qui publie une biographie plutôt iconoclaste du général Heinz Guderian.
Un pur produit de la tradition prussienne

Guderian est avant tout un officier, non noble (ça a son importance), formé dans la plus pure tradition de l’armée prussienne, suivant ainsi l’exemple de son père. Il étudie à l’école militaire de Metz et est affecté comme sous-lieutenant au 10e régiment de chasseurs à pied. Après les combats de 1914, il sert durant la grande guerre comme officier de transmissions, puis accomplit des tâches d’état-major. Jean Lopez, de manière narquoise, n’hésite pas à écrire qu’il passe la grande guerre à l’abri. Il est en tout cas marqué par la défaite de 1918, l’effondrement de la monarchie, puis par son séjour dans la région Balte en 1919. Guderian y fréquente des soldats qui seront les premiers bataillons de la droite extrême et se rapproche de leurs idées. Il reste membre de la Reichswehr et réfléchit sur l’utilisation des chars. Guderian lit et réfléchit. Avec le général Lutz, personnage oublié par bien de ses biographes, il prône la création de divisions blindées autonomes, les panzers, un outil susceptible de renouer avec la guerre de mouvement nécessaire aux prouesses tactiques pouvant mener aux batailles d’anéantissement traditionnellement recherchées par les généraux allemands (Moltke, Schlieffen). Hitler et le IIIe Reich vont lui fournir l’occasion de bâtir cet outil, non sans difficultés.
Un général controversé
Hitler en fait un de ses généraux préférés tellement ses conceptions lui vont. Mais Guderian est un officier indiscipliné qui ne supporte pas sa hiérarchie (Beck, Halder, Kluge). Audacieux, il remporte des succès plutôt faciles en Pologne. Durant la campagne de France, il surprend les généraux français par sa rapidité et est un des meilleurs exécutants du plan conçu par Manstein. Pour autant, Guderian est un tacticien et un technicien, pas un stratège. Séduit par le nazisme, il profite des largesses d’Hitler. En URSS, il remporte des succès tactiques mais, ni avant ni pendant, il ne comprend l’impasse de cette campagne : comment gagner face à un pays si riche en ressources et en hommes, dirigé par un parti-état jamais aussi à l’aise qu’en guerre ? Guderian craque à la fin 1941 quand la Wehrmacht échoue à prendre Moscou. La faute à la logistique, la faute aux autres… jamais il ne se remet en cause. Et comme tous ses collègues, il endosse la politique d’extermination entreprise à l’est, ce qu’il laissera dans l’ombre dans ses mémoires, comme les massacres de prisonniers soviétiques. Revenu en grâce comme inspecteur des blindés en 1943, Guderian ne joue aucun rôle décisionnel. Tout au plus, facilite-t-il la production de certains chars, au détriment d’armes plus défensives, sans comprendre que le Reich ne peut plus mener d’offensives comme il le souhaite, surtout après l’échec essuyé à Koursk en été 1943. Piètre stratège comme nombre de ses pairs, Guderian avale les couleuvres, essuie les colères d’Hitler. Contacté par les conspirateurs, il ne se joint pas à eux, laisse faire… et envoie les survivants se faire exécuter.
Après-guerre, sa chance est d’avoir Basil Liddell Hart pour le défendre, les américains refusant de le livrer aux polonais en raison de son rôle dans la répression du soulèvement de Varsovie. En pleine guerre froide, ses souvenirs seront un succès en librairie. Si le soldat était courageux, l’officier audacieux, il ne valait pas ses homologues soviétiques ou Manstein, un des seuls stratèges allemands. Surtout, Guderian n’avait pas eu peur de se compromettre avec le régime nazi. Cette biographie sans concessions remet les pendules à l’heure.
Sylvain Bonnet
Jean Lopez, Heinz Guderian le maître des panzers, avril Perrin, 2025, 592 pages, 25 euros