La conférence de Wang Zé, utopie à la mode chinoise
On vit rarement sujet si brûlant – la possibilité de la guerre bactériologique – abordé avec tant de légèreté et de pertinence dans un roman que dans cette Conférence de Wang-Zé. Le titre tout d’abord choque. Le livre achevé, le jeu de mots, considéré le nouvel agencement du nouvel ordre mondial, devient plus qu’acceptable : programmatique.
Hasard ou nécessité ? Ce fut en Chine, où, dans l’indifférence absolue du monde alors en voie de libération, qu’entre 1940 et 1945 400 000 civils périrent sans soins appropriés, contaminés par des germes d’anthrax, de choléra ou de peste répandus par les médecins et les scientifiques japonais présidant aux destinées de l’Unité 731. En Chine encore, qu’en 2020, apparut – arme ou hasard ? – la Covid 19 qui, pour le monde entier, fut l’occasion d’adhérer à la noble doctrine du salut par la technologie ; de souffrir l’illustration de la théorie du biopouvoir : d’assister à la “couturière “ de la mondialisation heureuse en un temps où à l’énoncé du titre Dictionnaire des sciences et techniques manque l’adjectif raisonné.
À l’horreur – l’irruption volontaire ou inopinée du problème covid et sa tentative de solution finale en Chine – répondre par la parodie et in absurdum atteindre le vrai, le remplacement du fusil par le smartphone, au service d’une tyrannie – d’une politique – l’autre.
Enregistrement, dépistage, confinement

Où l’Etat – air connu ! – dépasse le paranoïaque… Hitler, Staline, Mao, Pol Pot… y’en aura d’autres ! M’intéresse ici la chose littéraire, le déploiement d’un art romanesque. La recette, dédaignée par bon nombre de nos artistes engagés, concernés, hommes de plateaux, cinéastes, baladins, danseurs et romanciers – tous également victimes d’une mue spontanée qui, de chacun d’eux fera “le” lanceur d’alertes, prophète ou “attendu” de notre triste temps – Matthieu Grimpret, c’est là son rare mérite, ne l’a pas oubliée.
Cette fable est un peu au coronavirus ce que MASH fut au Vietnam, au temps où mieux valait rire que pleurer, quand trois millions et demi de gosses de vingt ans, crevant de trouille, un à un, perdaient leur âme, contraints d’agir en criminels avant de perdre la raison et la vie pour que naisse le Vietnam communiste unifié ! Au à la guerre 80% de sang et 20% de folie selon Altman répond l’hubris patriotique : 80% de folie et 20% de sang, à moins que ce ne soit le contraire : confiner des millions de Chinois et nous et nous, dans l’honneur et la dignité, tandis que, mutin, le virus tournoie, du soir au matin, désormais indélogeable ludion.
En fait, c’est nous qu’on est – de Pékin à Paris -, les ludions au bocal Capital, communiste ou libéral, les vaincus de l’Histoire et les cobayes du Progrès… il faut se faire une raison : rire avant de mourir,
aimer la vie, Aimer la vie, aimer les fleurs
Aimer les rires et les pleurs
Aimer le jour, aimer la nuit
Aimer le soleil et la pluie
Aimer la terre pour être heureux !
Pour cela que j’apprécie le roman du témoin Grimpret. Chaque puissant dans sa petitesse, son égoïsme à l’image de son administré – son semblable, son frère ! Responsabilité illimitée de chacun, un diktat, ne pas perdre sa place, ne pas sortir du jeu… L’âne, le roi et moi demain nous serons morts ? Qu’à cela ne tienne ! L’exigence de vivre désormais évanouit toute morale du haut jusques en bas de l’échelle sociale instaurant la soumission en valeur absolue.
Enseignant, la future victime du confinement de Wuhan et non moins futur auteur de cette Conférence, s’apprêtait à vivre une formidable expérience de dépaysement et d’apprentissage, quand il se retrouva malgré lui sinisé. Au lieu de céder à la déprime, chaque jour, après avoir fait cours en visioconférence, rêvant d’une autre Conférence, Grimpret se familiarisa avec la culture chinoise et, sans se prétendre nouveau Simon Leys, introduira le lecteur français au cœur du nouveau palais impérial, une villa confisquée à un capitaliste et d’un concept central cernera la question chinoise : comment reconstituer la grande Muraille, en un temps où la mondialisation paraît l’unique issue ? Romancer ici n’est pas seulement raconter, mais l’art d’élire les subterfuges narratifs susceptibles d’inscrire, dans la longue durée, un épisode, ici l’épisode Covid, comme l’occasion depuis longtemps cherchée de débarrasser le pays de toute influence étrangère. Rendre à la Chine sa sinitude. Le mal, toujours, vient de plus loin et romancier est moraliste qui ne peut, à l’aune de soi-seul et c’est assez, juger du monde.
Grimpret, là est le point sans doute, sait écrire, et ne confie pas à la sensibilité et à la colère le choix de son lexique et l’usage qu’il entend faire de la grammaire, qui sur le ton le plus sérieux et le plus drôle qui se puisse, conte l’invraisemblable story de la chauve-souris originelle avant de nous inviter à partager l’intimité du Président et à découvrir le grossier montage qu’on dit art de la soumission, ce brouet d’avidité, d’aquabonisme, de paresse et d’inespoir, à partir duquel tout devient possible.
Tout là est le point et on pourra à l’envi réciter son Audiard, la chose n’en demeure ni moins pénible ni moins terrifiante.
Surveillance généralisée
Le jeu de la vie est dur à jouer comme le chantent les protagonistes de l’unité MASH faisant croire à un copain désespéré qu’il a ingurgité du poison, alors qu’ils ne lui ont donné qu’un somnifère… Le roman ou le film véhicule du rêve a ici pour fonction d’éradiquer toute pensée morbide qui, d’aventure pourrait nous venir, non seulement dans un monde semblable au nôtre mais au temps de la Covid où les ultimes et misérables libertés qui nous demeurent se sont vues – sous le noble prétexte du principe de précaution-que-de crimes on commet en ton nom – confisquées, ce moment magique où les heureux du monde, bénéficiaires d’une résidence secondaire, ont pu vivre cette clôture imposée comme de longues vacances. Il n’en a pas été de même pour des millions d’autres. Le peuple ne s’en souciait guère, on lui avait promis la guerre. Soft or hard tyranny, les slogans sont les mêmes à Paris et à Pékin et puis grâce au smartphone, la furie de consommation pouvait – le principal non ? – se poursuivre allegro vivace. Bon prince l’État casquait… Que demandait le peuple ? Pas le grand soir, à manger et à boire ! Dans un monde où les banques n’ont plus d’argent, les soignants confinaient et les médecins interdisaient – faute de recul statistique ! – de soigner… En Chine aussi la confusion règne où distinguer le Camarade gouvernant de l’apparatchik, désormais occupé à passer des heures à table, fumer des Davidoff, s’acheter des montres de luxe …. Jouir sans entrave devient difficile.
Si en Occident on a bricolé, la Chine elle s’est interrogé : comment conserver l’esprit, le souffle, la substance d’une Nation en tout en devenant “l’usine, le laboratoire et le supermarché du monde “ : comment se débarrasser de l’Etranger et sans sentimentalisme, au couteau trancher dans le vif. Après la longue marche, la réforme agraire, réaliser “l’autarcie dynamique” ? Planifier la solution finale des étrangers au sein de l’Empire.
Pour ce faire, une arme : le virus chauve-souris.
Pour virer l’Etranger, sacrifier les habitants de Wuhan, siège de l’institut de virologie ? So what ? Selon la doctrine de Mao “ la révolution est acte de violence” et exige que l’on cultive l’esprit de sacrifice “ Wuhan sera donc confinée pour éviter la contamination de l’Empire, tandis que le virus, à voix basse et en secret, se répandra en Occident, made in China.
Le moyen sans armes et sans soldats de lever une armée d’invasion ? LES “datas” pardi, Camarades ! L’intendance, grâces rendues au Smartphone, suivra où toute participation à la vie sociale dépendra de la couleur de votre QR code, partout où on vous le demandera.
Qu’un peuple entier s’y soumette, voilà qui n’étonne qu’à demi ? Ne sommes-nous pas tous un peu maoïstes à ce compte ?
Sarah Vajda
Matthieu Grimpret, La conférence de Wang-Zé, éditions Ovadia, mai 2024, 164 pages, 18 euros