« Sacrifice » : du fait divers au roman sur la haine raciale

Deux fois finaliste du prix Nobel de littérature, Joyce Carol Oates, l’auteur de Sacrifice, est née en 1938 aux Etats-Unis, et se destine très rapidement à une carrière d’écrivain. Ayant vécue à Detroit, elle fait des tensions raciales un de ces principaux sujets d’écriture. Après, notamment, la publication de Eux en 1969, relatant les émeutes raciales de Detroit de 1967, elle revient en 2016 avec Sacrifice. 

 

Qu’est-il arrivé à Sybilla ?

Pascayne, New Jersey, 1987, un quartier noir défavorisé. Ednetta cherche sa fille, Sybilla, 14 ans. Elle a disparu depuis 3 jours. Elle sera finalement retrouvée dans les sous-sols d’une ancienne usine, ligotée, battue, couverte d’excréments et d’injures raciales. Questionnée, elle finit par accuser des policiers blancs de l’avoir séquestrée et violée. Dans un premier temps Ednetta tente de soustraite sa fille aux interrogatoires des policiers et des assistantes sociales. Elle la cache, souhaite que l’histoire se tasse.
Mais c’est sans l’intervention de Marius Mudrick, pasteur et défenseur des droits civiques, ainsi que de son frère Byron, avocat. Marius a une idée précise en tête : se servir de l’histoire de Sybilla pour inciter à l’émeute raciale et semer le trouble dans les rues de Pascayne. Et accessoirement gagner en notoriété. Tous les moyens sont bons. Sybilla ne souhaite pas raconter son histoire dans les détails ? On lui demandera seulement de hocher la tête. Sybilla ne peut pas reconnaître ses attaquants ? On profitera du suicide d’un jeune policier pour l’accuser.
Et pourtant dès les premières pages du livre, le doute plane et s’intensifie. Qu’est-il vraiment arrivé à Sybilla ? Pourquoi les injures sont-elles écrites à l’envers sur son corps ? Pourquoi la mère refuse-t’elle que sa fille soit examinée par un médecin ? Que se cache-t-il derrière sa relation houleuse avec son beau-père ?

 

Votre fille est une martyre, mais elle sera bientôt une sainte »

 

Sacrifice : un livre, des voix, des histoires

Sacrifice se fait également écho de plusieurs autres personnages, qui nous racontent leur histoire au fil des chapitres. C’est dans cette cacophonie de voix que l’on démêle peu à peu l’histoire de Sybilla.

Il y a sa mère, Ednetta, follement amoureuse de son mari et pourtant terrorisée par lui. Elle nous raconte les émeutes de 1967 dans les bas quartiers de Pascayne, quand les « flics blancs » tiraient sur tout, même une ombre derrière un rideau.

Il y a Ada, celle qui a retrouvée Sybilla. Il s’agit d’une des professeurs de la jeune fille. Une bonne professeur qui souhaiterai enfin avoir un poste permanent dans une école de l’autre côté du fleuve. Mais Ada a un énorme défaut : sa couleur de peau.

Il y a Iglesias, policière. Elle est en charge de l’affaire Sybilla pour la simple raison que ces origines hispaniques simplifie le contact. Est-elle pourtant suffisamment « noire » pour que mère et fille lui fassent confiance ?

Enfin, il y a Anis Schutt, le beau-père. Violent avec sa famille, il a cependant appris à faire profil bas avec les policiers blancs. « A en juger par son visage, sa peau sombre, mais aussi sa texture irrégulière, rugueuse, l’homme qu’ils avaient devant eux était un tueur ». Et pourtant son fantasme est d’abattre ces mêmes policiers, à l’origine de la mort de son frère vingt ans plus tôt.

 

 

Tiré d’un fait divers

Ce dernier livre de Joyce Carol Oates, Sacrifice, bien que tiré d’un fait divers de 1987 (l’affaire Tawana Brawley), s’en éloigne et ne relate donc pas qu’une seule histoire. Plusieurs trames se mêlent et se rejoignent afin de plonger le lecteur dans la complexité des tensions raciales aux Etats-Unis, qu’il s’agisse de ségrégation, d’absence de reconnaissance professionnel, ou de préjugés haineux. Et bien que l’histoire se déroule en 1987, nous savons parfaitement que ces questions ont la peau dure. Il suffit de penser aux manifestations de cet été à Charlottesville pour s’en convaincre.

Joyce Carol Oates fait donc encore preuve de sa capacité à analyser ses personnages et la sociologie de son pays. Ce livre ne vous laissera pas de marbre !

 

Margot Baudonivie

 

Joyce Carol Oates, Sacrifice, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Seban, Points, octobre 2017, 400 pages, 8 euros

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