“No Time To Die”, un 25e Bond trop Bond

bond, à plus d’un titre

L’insoutenable suspense qui pesait depuis plusieurs mois sur le titre du prochain épisode des aventures de James Bond a enfin trouvé sa conclusion il y a quelques jours. Nous savons en effet que ce qui était jusqu’à présent désigné laconiquement comme « Bond 25 » se nommera No Time To Die. (On ne sait pas encore si, en France, ce titre anglais sera gardé tel quel, comme ce fut le cas pour Quantum of Solace, ou s’il sera traduit.)

D’une certaine manière, la montagne a accouché d’une souris, puisque, même si cette formule, No Time To Die, admet plusieurs interprétations, celle qui d’emblée s’impose, à savoir « Vade retro, Thanatos, c’est pas le moment », rappelle furieusement le Die Another Day (Meurs un autre jour) de la période Pierce Brosnan. Les vieux bondophiles pourront trouver une référence au célèbre échange entre Bond et Goldfinger dans la scène du laser : « Do you expect me to talk ? — No, Mr Bond, I expect you to die. »  Les plus jeunes penseront peut-être à Never Dream Of Dying, titre d’un roman de Raymond Benson, l’un des principaux « continuateurs » de l’œuvre de Fleming. Arrêtons là cet inventaire. Ce No Time To Die est donc très bondien — trop bondien. On eût aimé un peu plus d’originalité.

Au fait, trop bondien, ou pas assez bondien ? Car il faut savoir que No Time To Die a déjà été le titre de trois ou quatre films, dont un épisode de Columbo (rebaptisé en français À chacun son heure) ! Seulement, Columbo lui-même ne manquerait pas de nous expliquer que sa femme lui a dit que l’affaire se complique lorsqu’on épluche la liste de tous ces homonymes : No Time To Die a été aussi le titre « alternatif » de Tank Force, un film réalisé en 1958 par Terence Young et produit par Albert Broccoli. Faut-il rappeler ici que celui-là allait être quelques années plus tard le réalisateur des deux premiers « Bond », et celui-ci, trois décennies durant, le maître d’œuvre de toute la série ?

Daniel Craig

Quelque chose nous dit qu’il y a de la mise en abyme dans l’air. Déclarer que le personnage de Bond est aussi éternel que les diamants d’une de ses aventures, c’est enfoncer une porte ouverte. En revanche, cet hommage rendu, à travers la reprise d’un titre, à deux « pères fondateurs » ressemble à un vœu pieux portant sur la série elle-même. On sait que, quoi qu’il advienne, ce nouveau « Bond » sera le dernier de Daniel Craig. Ce devrait être aussi, selon certaines sources bien informées, le dernier produit par les héritiers de Broccoli, Barbara Broccoli et Michael Wilson, lesquels pourraient céder la « franchise » à Universal. Tout comme, en 2012, George Lucas a cédé Star Wars à Disney. Mais Star Wars sans Lucas, est-ce toujours Star Wars ? On sait quel désastre a été Solo. La force de l’entreprise Bond est qu’elle a su rester jusqu’à ce jour, malgré son gigantisme, une entreprise familiale. Cet esprit, jusqu’ici garant d’un équilibre entre tradition et modernité, risque fort de se perdre dans les brumes avec l’arrivée d’un nouvel interprète et la mainmise d’une major.

Mais No Time To Die, c’est une mise en abyme encore plus importante, qui touche au Royaume-Uni tout entier. Depuis quelques semaines, les journaux anglais ne faisaient plus leurs choux gras de ce « Bond 25 » (la divulgation du titre officiel a évidemment modifié la donne), mais Bond n’en était pas moins constamment présent dans bien des pages, dans la mesure où il est devenu une référence aussi officielle que Sherlock Holmes. La semaine dernière, par exemple, un article sur l’Aston Martin, sans rapport avec le cinéma, n’en avait pas moins pour titre « La voiture de James Bond » ; un autre, sur Kim Jong-un, dirigeant de la Corée du Nord : « A true Bond villain » (1).

En allant chercher un titre déjà utilisé il y a soixante ans par Albert Broccoli, Barbara Broccoli et Michael Wilson réaffirment que la spécialité de l’agent 007 est la résurrection, mais c’est sans doute le Royaume-Uni tout entier qui entonne avec eux la prière No Time To Die, car le hard Brexit dont Boris Johnson se fait le champion risque de faire exploser l’ensemble du pays. La violence des caricatures ridiculisant BoJo, souvent même dans la presse censée être de son bord, est inouïe. Parce que Brexit ne signifie pas simplement retrait du Royaume-Uni de l’Europe (avec toute l’absurdité que cela entraînerait — il suffit d’entrer dans un hôtel ou de faire ses courses dans un supermarché londonien pour voir que l’économie britannique aurait bien du mal à tourner sans sa main-d’œuvre issue de l’immigration) : la question irlandaise et l’attachement de l’Écosse à l’Europe risquent fort de faire du Royaume-Uni quelque chose de très désuni. C’est sans doute la raison pour laquelle l’un des titres qui avaient circulé à propos de ce nouveau « Bond », Shatterhand, a été définitivement écarté : to shatter, c’est « faire voler en éclats ».

FAL

(1) Si l’on veut un exemple récent, anecdotique mais significatif, de la manière dont Bond est désormais ancré dans l’âme des Britanniques, on pourra feuilleter l’ouvrage intitulé Shaken – Drinking with James Bond & Ian Fleming, paru il y a quelques mois. Les auteurs, Edmund Weil, Bobby Hiddleston & Mia Johansson, se sont amusés à répertorier toutes les recettes des cocktails que Bond avale au fil des romans originaux – il y a quelques années, une équipe de médecins qui s’étaient sérieusement penchés sur la question avait fait savoir qu’aucun foie humain ne résisterait bien longtemps à un éthylisme aussi frénétique –, et, comme si cela ne suffisait pas, ils ont ajouté un certain nombre de mixtures originales, mais fidèles à l’univers bondien, puisque la plupart d’entre elles portent les noms de personnages, amis ou ennemis, croisés ici et là par 007 (Mr Big, Tiger Tanaka, Goldfinger…). Le tout est soutenu par d’abondantes citations empruntées à la prose de Fleming, et enrichi de notules sans alcool, qui constitueront pour le lecteur autant de « pauses désintox ». On apprendra par exemple que Kissy Suzuki, héroïne d’On ne vit que deux fois, tirait son prénom d’une célèbre masseuse de Tokyo qui ressemblait, dit-on, à Brigitte Bardot. (Mitchell Beazley Publ.)

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