Deadpool & Wolverine : avis sur la dernière tentation de Marvel

Alors qu’il peine à trouver sa voie, Wade Wilson rencontre un agent du Tribunal des Variations Anachroniques. Ce dernier peut lui offrir ce qu’il désire à condition que son monde soit anéanti. Afin de le sauver, le mercenaire endosse de nouveau le costume de Deadpool et va quérir l’aide d’un Wolverine désabusé.

Si le super-héros a toujours pour tâche de sauver le monde, qui pourra empêcher sa fin inéluctable sur grand écran, prédite par les observateurs. Le triomphe indéniable du genre a suscité nombre de jalousies et de controverses, tout en entraînant un délitement progressif de la production. Ainsi, la formule conçue par Kevin Feige a certes permis au MCU de rassembler les suffrages au box-office avec Avengers : Endagme, mais a aussi considérablement contribué à la chute de la franchise, faute à un véritable renouvellement créatif et à un formatage dépourvu de la moindre imagination.

Et l’herbe n’est pas plus verte chez la concurrence puisque le DCU essuie échec sur échec et que Sony accouche d’immondices dans la veine de Morbius ou Venom. Le temps où Sam Raimi et Joss Whedon insufflaient un vent de fraîcheur sur la culture populaire semble remonter à un autre siècle. Et cette crise que traverse le super-héros frappe l’ensemble de l’industrie du cinéma de genre en général, tant le fan service constitue l’unique recours à la majorité des réalisateurs. Voilà pourquoi cette sombre période incite les critiques ou le public à réhabiliter les étrons des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, avec pour conséquence pour les metteurs en scène de tout poil, de ne pas nourrir une quelconque ambition, sur la forme et sur le fond.

Le déclin du MCU et consorts n’embellira pas le septième art s’il profite à des catastrophes dans la veine de John Wick ou à des essais sympathiques mais surévalués comme Furiosa. Dans ce contexte morose et pas vraiment rassurant, le MCU compte bien renouer avec sa gloire d’autrefois en s’appuyant sur le fruit du travail pas toujours à la hauteur de la Fox, puisque Deadpool, les X-Men et les Fantastic Four sont revenus au bercail, suite au rachat par Disney.

L’occasion s’avère trop belle pour la firme aux grandes oreilles de profiter de l’aura de Ryan Reynolds et de son alter ego costumé afin de redorer son blason. En outre, en rappelant aussi Hugh Jackman alias Wolverine, le studio envisage de voguer sur la nostalgie (satané fan service) et faire oublier toutes les lacunes de son entreprise, le tout en limitant le budget (toutes proportions gardées). Deadpool & Wolverine est né donc d’un processus faussement rédempteur, qui souligne toutes les carences mêmes liées au personnage et à son incarnation au cinéma, mais qui repose fort heureusement sur la malice de son réalisateur, Shawn Levy.

L’origine du mal

On reproche fréquemment au MCU (et aux films de super-héros dans leur ensemble), souvent à raison, sa propension à user de l’humour afin de désamorcer la tension dramatique, quitte à tourner en ridicule la situation et ses protagonistes. Pourtant, si Joss Whedon ou Jon Favreau n’étaient point avares en bons mots, ils n’ont jamais poussé le procédé aussi loin que le premier Deadpool (fidèle d’une certaine façon à la bande-dessinée), prolifique en propos gras, voire vulgaires. Alors que son personnage principal souffrait d’un cancer, son metteur en scène n’hésitait pas à renchérir avec des blagues douteuses et une posture soi-disant irrévérencieuse, que James Gunn adoptera pour le meilleur et surtout pour le pire, avec Les Gardiens de la galaxie puis The Suicide Squad.

Il ne faut pas donc s’étonner si Deadpool & Wolverine s’approprie cette méthode potache quitte à friser l’indigestion. Le flot de paroles ineptes déblatérées par Ryan Reynolds ne cesse de se déverser, ce à chaque minute, si bien que l’on apprécie son interruption imposée par le silence d’un Hugh Jackman plus laconique et par le fracas des coups et le grincement des lames. Et dans ces instants, un mauvais goût prononcé pour l’ultra-violence remplace celui de la diarrhée verbale du supposé héros. Mais ici, le spectateur a plutôt affaire avec un bouffon pathétique et un ours mal léché qu’un semblant de scénario tente vainement de réunir.

Ce tableau fort peu réjouissant a priori est compensé par la ligne directrice déployée par Shawn Levy. Loin d’être un génie, le metteur en scène s’est en revanche illustré par une sorte d’insolence ingénue avec Free Guy ou La Nuit au musée. Résultat, il surjoue avec les stéréotypes et les attentes liées à Deadpool pour mieux s’en moquer, allant jusqu’à singer l’introduction du premier volet pour démontrer la vacuité de son projet. Si tout doit se plier au fan service permis par le multivers, autant en profiter pour balayer le passé au forceps.

Au service du multivers

Dans Deadpool & Wolverine, le principe du multivers (merci Michael Moorcock) justifie une fois encore la démultiplication des clins d’œil référentiels et des apparitions de vedettes parfois oubliées ; ce processus racoleur, qui a si bien fonctionné (en terme commercial) avec Doctor Strange in the Multivers of Madness et Spider-Man : No Way Home, mais également avec des licences autres que Marvel, est employé ici avec un objectif unique : rendre hommage à la Fox tout en expliquant que son héritage sera évincé pour une cause bien plus grande, celle du MCU.

Si cette démarche relève d’un état d’esprit machiavélique, elle permet cependant de se remémorer qu’à l’image de Disney, la Fox possède aussi sa part de responsabilité dans le naufrage de la marque Marvel et du super-héros américain en général, quoi qu’en disent les admirateurs de Bryan Singer. Nonobstant, dans Deadpool & Wolverine, le cinéaste et sa direction ont conscience, tout comme le protagoniste, de l’énorme supercherie en cours qu’ils offrent à leur public. Et il vaut mieux en rire plutôt que de s’excuser, aller de l’avant et tenter autre chose, quitte à risquer l’implosion… ou la lassitude.

On s’interroge par conséquent sur le bien-fondé de ce programme balisé, ce dès une exposition durant laquelle Ryan Reynolds pérore être prêt à piétiner le legs du Logan de James Mangold, l’une des plus grandes réussites du genre, sur le fond et sur la forme. Néanmoins, alors que Shawn Levy s’apprête à commettre l’irréparable, il déterre d’outre-tombe l’essence qui fit le charme même du long-métrage tant plébiscité.

Une dernière virée en enfer

Sans verser dans la finesse, l’approche de Shawn Levy revêt un aspect bicéphale au moment de traiter du personnage incarné par Hugh Jackman, de son environnement et de son histoire en général. Une partie du contexte quasi apocalyptique et la virée dans le désert renvoient outrageusement au film de James Mangold. On pourrait croire alors que le réalisateur, dépourvu de la moindre imagination, s’appuie sur la légende sans en comprendre ni la forme et encore moins le fond ; une conduite paresseuse guide le tandem improbable dans une resucée de la ballade qui unissant Wolverine, X-23 et Charles Xavier.

Toutefois, on retrouve l’esprit de cette virée familiale en enfer, ce avec joie, lorsque la pantalonnade cesse et que la tragédie frappe. Certes, pas de Shakespeare à l’horizon, mais Shawn Levy essaie d’émouvoir sans s’adonner à des pitreries grotesques, souvent avec maladresse, parfois avec cette innocence caractéristique de l’élève qui désire bien faire et qui s’en sort avec les honneurs. Quand le masque prend l’ascendant sur le visage de l’interprète afin d’exprimer toute la détresse et la colère du protagoniste, Shawn Levy capte ce qui se cache derrière ce morceau de tissu et saisirait presque ce qui lie et sépare l’individu de son alter ego. Ainsi, point d’issue de secours, mais une table rase pour mieux revigorer un style à part, si décrié.

Au-delà de la farce pseudo jubilatoire jamais réflexive, Wolverine & Deadpool ne souhaite jamais s’affranchir de son statut de divertissement, agaçant par moments, mais efficace, bien plus acceptable que ses prédécesseurs. S’il ne s’impose pas comme le messie d’un genre que tous jugent à bout de souffle, il annonce peut-être un revirement de ton pour l’avenir même si l’homme aux commandes de Captain America : Brave New World ne brille pas par son talent. Le western made in usa a laissé sa place au savoir-faire italien. Sans changer de nationalité, le film de super héros entamera éventuellement une mue salvatrice pour ne pas choir dans les limbes. Mais cela ne préoccupe pas visiblement Shawn Levy et ses trublions…

François Verstraete

Film américain de Shawn Levy avec Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin. Durée 2h07. Sortie le 24 juillet 2024

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