Lettres sur la lumière, un art solaire

« Depuis que la première lumière a éclairé et donc dessiné un corps, la photographie existe ». Dixit Paolo Roversi, le renommé photographe. Puisque, si l’on en croit l’étymologie : photographier consiste à écrire avec la lumière. Emanuele Coccia abonde dans son sens : pour lui la photographie « est la manière qu’a le soleil de toucher notre planète, de la caresser, d’apposer son empreinte, même fugace et passagère, à sa surface et sur celle de toute chose ». C’est que, selon lui, nous sommes des êtres solaires puisque toute vie s’origine dans l’énergie solaire. Il va jusqu’à affirmer que nous avons du soleil en nous : toute vie commence avec les végétaux que nous mangeons, qui fabriquent leur matière vivante à partir de l’énergie lumineuse prodiguée par le soleil… c’est dire que nous avons quelque chose en nous d’extra-terrestre ! Pour Emanuele Coccia, nous sommes en symbiose avec le cosmos – comme les végétaux eux-mêmes sont en symbiose avec les chloroplastes (des bactéries anciennes désormais intégrées au végétal), lesquels fabriquent le glucose pour la cellule qui les abrite, comme nous sommes nous-mêmes en symbiose avec les petites bêtes de notre microbiote qui digèrent pour nous.

Ainsi va la conversation entre le photographe et le philosophe, par courriers échangés, publiés ici. Il s’agit bien d’une co-respondance, tant la réflexion de l’un relance la réflexion de l’autre.

Ni illusoire ni réelle

Ni Coccia ni Roversi ne sont en accord avec Barthes, pour qui toute photo renvoie au passé, à la mort. Au contraire, pour qui regarde une photo, quelque chose est en train de se passer, ici et maintenant, aura toujours lieu, à chaque fois… et a eu lieu ? « Chaque cliché, dit Coccia, est le don d’une éternité toute particulière, qui n’est plus à la disposition ni sous le contrôle de personne »

Face à une photographie, Paolo Roversi a le sentiment d’entrer dans une autre dimension qu’il aurait peine à définir, et qui efface la distinction entre illusion et réalité. Une photo n’est jamais la copie d’une réalité ! Il y trouve un mystère qu’il ne tente pas de lever, mais qu’il accueille en poète. « Être photographe signifie toujours effleurer une autre vie », dit-il. Peu importe que la photo soit floue, ou manque d’esthétique : puisqu’elle est venue ainsi, il l’accepte et la publie. On ne va pas renvoyer un bébé d’où il vient sous prétexte qu’il est roux, ou blond, dit-il encore.

Quand la photo devient poème

Photographier exige de faire un effort pour entrer en relation avec un autre, vivant ou non. Il s’apparente en ce sens à une méditation. Alors la photographie nous révèle le secret d’une présence qui restera un mystère. 

Coccia y discerne une analogie avec la poésie telle que définie par Paul Valéry : » « une hésitation entre le son et le sens ». La poésie remettrait en question ce que nous oublions trop souvent : le signe ne désigne rien naturellement, de la langue au réel, rien que du contingent, du gratuit. Idem pour l’image : « il faut briser l’évidence d’une correspondance immédiate et directe entre la réalité et son image » pour qu’une photographie devienne poétique.

Il n’est pas étonnant d’apprendre qu’avant de devenir photographe, Paolo écrivait des poèmes ! Son univers est en symbiose avec celui d’Emanuele Coccia, comme le manifeste leur dialogue. Ce très beau livre est ornée d’une soixantaine de photos qui illustrent leurs propos.

Mathias Lair

Paolo Roversi & Emanuele Coccia, Lettres sur la lumière, avant-texte d’Erri de Luca, avant-propos de Chira Bardelli-Nonino, Gallimard, mars 2024, 168 pages, 30 euros

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