Christian Bobin, Le Muguet rouge

Christian Bobin (1951-2022) a tracé un chemin très personnel à part dans le monde de la littérature française. Il s’est lentement imposé au point de trouver ses imitateurs, et de rendre sa valeur à la prose poétique. Vivant loin des hommes et des modes, il a su mieux que personne comprendre ce que l’époque de vitesse et de furie a perdu d’humanité. Œuvre ultime, posthume, Le Muguet rouge est un opuscule d’une rare délicatesse.

Comme un chagrin merveilleux 

Le Muguet rouge est un retour au père, cet “absent omniprésent” au moment de mourir soi-même et, espère-t-il, de le rejoindre. Pris dans une longue maladie, Christian Bobin entame un chemin où le merveilleux des moindres petites choses se révèle propice à la contemplation et à l’acceptation. Contemplation de ce qu’il reste de beau. Acceptation que nos morts cessent de nous parler. Et la paix intérieure enfin.

Ce chagrin, inconsolable mais adouci par sa libération en rêverie, donne au poète une lucidité dans le regard dénué de jugement qu’il pose sur les choses. Il trouve dans la beauté simple de la nature le réconfort à sa déception, sinon sa colère, face à la perte d’humanité qu’il ne peut que constater. Bobin vivait lui-même assez reculé des hommes et au plus proche de la nature, sans être un diable ermite. Il se tenait à la frange. C’est de cette frange qu’il se tient dans Le Muguet rouge, à tenter d’élucider le monde par la poésie.

“La poésie est don de lire la vie”

La vie magnifiée par Bobin, au moment de la quitter, fait effet d’un tableau impressionniste. Par touches posées les unes à côté des autres, il dessine le rêve doux et apaisant d’un voyageur lucide parti en quête de ce muguet rouge, improbable, et pourtant si nécessaire trace laissée comme l’espoir de la rareté haute dans le monde qui peu à peu se vide de toute forme d’exaltation. C’est une quête, une grande aventure, qui consiste à simplement exister, mais pleinement, bellement, et à exprimer tout le poétique de cette aventure intérieure par le mot juste.

La prose poétique de Christian Bobin touche infiniment. Le Muguet rouge, ouvrage posthume, est une très belle manière d’évoquer son père, et de dire au revoir au monde tel qu’il est devenu. L’art de Bobin c’est de faire croire à une simplicité première du style, comme une ébauche de sensations inspirées des odeurs et des formes, et d’emporter son lecteur avec une délicatesse et une humilité infinies.

Loïc Di Stefano

Christian Bobin, Le Muguet rouge, Gallimard, “folio”, février 2024, 96 pages, 7,40 euros

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