Mon Père Laboureur, hommage au père par Ali Ildirimoglu

Qui pourrait aujourd’hui situer l’Azerbaïdjan et citer un de ses auteurs ? Il faudra le travail du traducteur ShaIn Sinaria pour créer un pont entre nos deux cultures. Après avoir traduit Philip Le Roy en azéri, voilà qu’il fait découvrir le plus grand auteur de son pays natal, Ali Ildirimoglu, et son dernier ouvrage, un beau récit autobiographique, Mon Père Laboureur.

un grand intellectuel

Journaliste et écrivain, Ali Ildirimoglu est une figure centrale de la vie intellectuelle de l’Azerbaïdjan. Né en 1927 dans ce qui était encore une province soviétique, il est d’abord enseignant, puis journaliste et rapidement il dirige des journaux d’opinion. Il signera

Véritable modèle pour sa culture et la force de son engagement, honoré par l’Ordre de la Gloire de la république azerbaïdjanaise, il laisse une œuvre et une emprunte considérable. Malheureusement encore très largement méconnu en occident, malgré le beau travail des éditions TEAS, son œuvre est pourtant foisonnante. Traduite dans la langue des pays voisins (Russie, Iran, Turquie, principalement), elle se compose de récits, de romans, sans compter les centaines d’articles. Il est sans doute le seul à pouvoir transmettre l’histoire et la culture de son pays.

une belle chanson sur la paternité et d’amour paternel

En vénérant mon père laboureur, l’homme aux mains imprégnées par l’esprit de la Terre, par l’esprit de sagesse, valeureux, honnête et juste, devant lequel je m’incline et auquel je rends hommage, j’ai écrit ce livre. Je l’ai d’abord fait pour moi-même. Mais, il touchera également le cœur de ceux qui désirent voir le côté invisible de la vie. En un mot, il concerne tout le monde. 

A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans, Ali Ildirimoglu part en voyage au pays de son enfance. Son roman est un hommage à son père laboureur, qui était pour lui une véritable idole. 

Mon père Laboureur possède une dimension autobiographique assez intéressante. Le lecteur est plongé dans le quotidien d’un petit village rural de l’Azerbaïdjan soviétique des années 1920, loin de la capitale. Le récit adopte le point de vue de l’auteur, alors tout jeune garçon, né dans une famille de laboureurs. Orphelin de mère à l’âge de cinq ans, il mêle ses souvenirs (son enfance, son adolescence puis son entrée dans le monde d’adulte) à ses réflexions sur la guerre advenue en Azerbaïdjan au début et à la fin de la XXe siècle, sur la culture et la mentalité de son pays, sur le multiculturalisme dans la société soviétique. Tout y est relaté : son père, ses camarades, ses cousins, ses rencontres, ses goûts, ses voyages, sa relation avec ses enfants, avec ses voisins. Mais aussi, et c’est très intéressant, la place de la femme dans la société soviétique. Le récit est parfois décousu et change de ton sans prévenir, comme si le vieil écrivain courrait après sa plume en refusant de perdre la trace de ses souvenirs, mais il est rempli de poésie, de nostalgie, de générosité et d’un réalisme sur l’époque et les mœurs en Azerbaïdjan soviétique.

une vie en huit histoires

Le livre se compose de huit histoires différentes. Chacune raconte une période de la vie d’Ali Ildirimoglu, qu’il présente plus ou moins dans l’ordre chronologique. Il se libère d’une chronologie trop linéaire, ne balisant sa vie que de quelques dates clés et la scindant ensuite en grandes parties pour aller de ses premiers souvenirs d’enfant à ses quatre-vingt-huit ans. Cette autobiographie foisonnante permet d’approcher ce que peut être la vie d’un père laboureur et d’un grand écrivain azéri, mais aussi de découvrir de façon très vivante la culture, la tradition, la religion et la politique de l’Azerbaïdjan sous le régime soviétique. Le livre se lit comme un roman ou presque, puisque les vies d’Ali Ildirimoglu, de son père et des autres personnages qui les entourent revêtent un caractère romanesque indéniable. L’auteur nous décrit avec nostalgie sa jeunesse dans un milieu défavorisé. Pour autant, nous sommes quand même dans un monde où l’on ne peut pas avoir des opinions libres, même l’auteur ne parle pas ou presque pas de la politique, ni du régime communiste directement.   

Mon père Laboureur est une chronique de l’Azerbaïdjan rural et communiste. Une chronique à la fois drôle et amère, tantôt drôle, même inquiétante lorsque l’auteur raconte la guerre de Karabagh ou bien les attaques injustes dont il a été la victime. Parfois un peu naïf mais touchant quand il confie les plus beaux moments de sa vie, ce récit montre un homme simple, humble et discret.

Le régime soviétique et ses séquelles, le conflit sanglant avec la république voisine, la religion, la politique, mais aussi et surtout l’enfance ; tels sont les sujets évoqués par Ali Ildirimoglu qui met en scène des personnages tous plus surprenants les uns que les autres. Quittant son village, Ali Ildirimoglu raconte sa vie professionnelle, les attaques qu’il a subies, les relations avec ses employeurs. Puis vient le moment tragique de la mort de son père. La troisième partie relate la guerre sanglante entre deux républiques voisines, en insistant sur les séquelles de cette guerre dans la société ainsi que  dans le cœur de l’auteur.   

Mon Père Laboureur d’Ali Ildirimoglu est une plongée dans un monde totalement étranger, dans l’espace et le temps. un monde marqué profondément par l’influence soviétique. Mais c’est surtout un beau témoignage d’amour paternel. A l’approche de sa mort, le grand écrivain azérie touche par l’offrande faite à son père. 

Loïc Di Stefano

Ali Ildirimoglu, Mon Père Laboureur, traduit de l’azéri par Shain Sinaria, TEAS Press, novembre  2020, 436 pages, 17 eur

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