Spider-Man : Across the Spider-Verse, le super-héros à l’honneur

Depuis près de dix-huit mois, Miles Morales est devenu le seul Spider-Man sympa du quartier. Tandis qu’il essaie de concilier vie familiale, scolaire et super-héroïque, une vieille amie vient lui rendre visite. Il va alors découvrir les dessous du multivers ainsi que les implications douloureuses de sa charge… saura-t-il se plier aux règles ou se rebellera-t-il contre le système en place ?

Y a-t-il encore un film pour secourir le genre super-héroïque ? La faillite récente au box-office de Shazam ! La Rage des dieux et la déliquescence qualitative du Marvel Cinematic Universe ne plaident pas en sa faveur et ne lui prédisent pas un avenir radieux. Heureusement pour le surhomme américain, son sauveur est peut-être arrivé. Après un premier opus consacré à ses aventures, fort réussi, Miles Morales reprend une nouvelle fois du service pour le meilleur de la franchise Spider-Man. Si Jon Watts ne compte plus que sur des caméos et du contenu destiné uniquement aux fans pour alimenter sa propre version du tisseur, l’équipe derrière Spider-Man : Into the Spider-Verse et de Spider-Man : Across The Spider-Verse opte pour la mise en scène ! Ce pour notre plus grand plaisir.

Certes et c’est fort dommage, Into the Spider-Verse n’avait pas rencontré le succès escompté (et qu’il aurait mérité) en salles au contraire de l’infâme Spider-Man : No Way Home. Espérons donc que Spider-Man : Across the Spider-Verse connaîtra un meilleur sort. Car si on doit retenir un long-métrage centré sur le multivers, c’est bien celui-ci. Et il faut avouer que le trio de réalisateurs qui succède à l’équipe d’origine sur Into the Spider-Verse réussit un véritable tour de force, non pas en revenant aux racines mêmes de Spider-Man comme dans Into the Spider-Verse, mais en parvenant à déconstruire son récit autour des célèbres valeurs qui façonnent le héros cher à Stan Lee et Steve Ditko.

Une fille, un gars

L’exposition brillante d’environ vingt minutes ne pose pas seulement pas les bases de ce qui s’ensuivra, mais bouleverse aussi l’ordre établi en se concentrant sur le personnage de Gwen Stacy. À l’occasion d’un combat éprouvant, les cinéastes précisent les origines de la jeune femme avec une révélation surprenante (qui ne sera pas la dernière du long-métrage), remettant en question tout ce que l’on pouvait imaginer jusque là et rappelant aux passages les fameux moments de soap opera teintés de mélo propres à la saga.

Le désir des réalisateurs s’avère simple et limpide : à partir d’un postulat romantique, ils vont développer tous les enjeux cosmiques de leur œuvre en n’oubliant jamais le caractère dramatique qui lui est intimement lié. En outre, ils changent régulièrement de focalisation, transitent du point de vue de Gwen à celui de Miles avec une fluidité déconcertante, valorisant un couple improbable et un amour impossible. Cependant, à l’opposé des artisans sous les ordres de Kevin Feige, les cinéastes n’optent pas pour l’humour pour désamorcer la tension émotionnelle. Ils remettent au contraire sur le devant de la scène la puissance des sentiments et des atermoiements avec une certaine maîtrise.

On se souvient alors que l’histoire de Spider-Man s’appuie le plus souvent sur des romances tragiques et que même la trilogie signée Sam Raimi reposait sur la relation entre un garçon et une fille, rendue délicate à cause de l’alter ego de Peter Parker. Légataires de cette idylle, Miles et Gwen n’arrivent pas à s’aimer en raison de leur double identité… jusqu’à se déchirer ? Et durant ce petit jeu de séduction, le trio créatif s’ingénie par des trouvailles aussi bien visuelles que de pure mise en scène à les séparer… pour mieux les réconcilier avant l’Apocalypse.

Maelström visuel

Après le pathétique Spider-Man : No Way Home et l’essai de Sam Raimi, Doctor Strange and The Multiverse of Madness, Spider-Man : Across the Spider-Verse est le troisième long-métrage à traiter du fameux multivers de La Maison des idées. Et s’il offre pour la circonstance quelques moments de fan service comme ses aînés, son concept et sa raison d’être ne se basent pas sur quelques clins d’œil, mais bel et bien sur un scénario remarquable et le savoir-faire évident de ses auteurs. Par ailleurs, le choix de Miles Morales pour cette expérience, ce depuis Into the Spider-Verse, n’a rien de fortuit. Alternative crédible au héros arachnéen dans le comic-book (bien plus que le très controversé clone Ben Reilly), Miles Morales est apparu au fil du temps non seulement comme un visage incontournable, mais aussi comme une évolution indispensable du personnage de Spider-Man. Et sa célèbre incursion dans le Spider-Verse est ici retranscrite de façon époustouflante.

Les cinéastes profitent de la ballade dimensionnelle de leur protagoniste pour projeter sous nos yeux un tourbillon incessant d’images frénétiques, mais toujours lisibles, split screen à l’appui, avec des raccords savamment pensés. Bien entendu, le ballet aérien et la notion de verticalité importent, mais on retient tout autant les différentes astuces tirées du comic-book qui relient chaque Spider-Man à son univers, transposé à l’écran naturellement.

Quant à l’héritage de Sam Raimi, il resplendit avec la scène d’introduction de Miles Morales, remémorant l’ouverture de Spider-Man 2. En liant toutes les problématiques du héros par l’image, Dos Santos, Powers et Thompson présentent son quotidien avec finesse, entrelaçant chacune de ses préoccupations de la manière la plus limpide possible… ce jusqu’aux moments de bravoure, nombreux, nécessaires aussi bien pour affirmer qui il est que pour le désarçonner, remettant en question toutes ses certitudes… et celles du public !

Miles le Maudit

Lors de son introduction, le Spider-Man 2 de Sam Raimi traitait justement, de manière sibylline, de la malédiction de Spider-Man ou pourquoi Peter Parker ne devait pas aspirer à une vie normale s’il continuait de revêtir son alias. En quelques minutes, on comprenait qu’il était incapable de conserver un travail ou de tisser quelque lien, familial, amical, sentimental. Puisqu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, le héros renonçait en partie à ses rêves. Cette thématique prépondérante, Spider-Man : Across the Spider-Verse va se l’approprier pour mieux la tordre et amener à reconsidérer tout ce que nous connaissons sur l’araignée sympa du quartier.

Pourtant, le dialogue déchirant entre Gwen et son père, très soigné sur la forme, pouvait sonner le départ d’une nouvelle tirade classique sur le fardeau porté par les protagonistes arachnéens. Cependant, les rebondissements en fanfare et les secrets éventés au fil du long-métrage vont amener Miles Morales à reconsidérer l’adage de ses prédécesseurs quitte à sacrifier l’inimaginable. Ce retournement de situation impensable induit surtout un changement de cap moral et une relecture totale de l’univers lié à Spider-Man.

Le diptyque de Marc Webb consacré au personnage, s’appuyait grandement sur la souffrance, la douleur ressentie par Peter Parker et comment les épreuves le façonnaient en tant que héros. En refusant d’endurer des supplices du même acabit et en montrant que choisir l’évidence n’est pas forcément la solution idoine, Miles Morales ouvre des perspectives intéressantes sur le fond qu’on a hâte de découvrir dans la suite prévue l’an prochain. Et le cliffangher fort bien pensé ne fait d’ailleurs, que renforcer l’attente…

Spider-Man : Across the Spider-Verse clame haut et fort que le super-héros américain n’est pas encore mort et qu’il peut toujours nous gratifier d’instants de grâce. Il y a vingt ans, nous nous identifions aisément au Peter Parker de Sam Raimi. Aujourd’hui, comment ne pas rejoindre Miles Morales et ne pas s’émouvoir de son intimité blessée ou s’émerveiller de son épopée pas comme les autres et qui élève le long-métrage vers les cimes atteints par les épisodes réalisés par le créateur d’Evil Dead. Plus qu’une réconciliation avec le genre, Spider-Man : Across the Spider-Verse devient un sommet incontournable.

François Verstaete

Film d’animation de Joaquim Dos Santos, Kemp Powers, Justin K. Thompson avec les voix originales de Shameik Moore, Hailee Steinfield, Oscar Isaac. Durée 2h21. Sortie le 31 mai 2023.

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