Tout quitter d’Anaïs Vanel, carnet de bord d’une liberté

« J’ai décidé de vivre comme les enfants en été. Comme si le temps nous était compté. Et comme s’il ne comptait pas. »

Alors que beaucoup y pensent, Anaïs Vanel l’a fait. Elle a mis sa vie dans quelques cartons, et elle est partie. Direction le sud-ouest, la plage, le surf, la liberté. Las de sa vie d’éditrice parisienne, elle quitte tout, et va s’échouer sur une plage du sud-ouest où elle a des habitudes à force de petits séjours chez des amis. Tout quitter est le roman de ces deux ans d’absence à la vie d’avant, deux ans pour devenir soi-même.

Avoir du temps surprend. On est tenté de le remplir. De l’employer. C’est ce qu’on sait faire. Employer le temps. J’ai parfois le réflexe de vouloir cocher toutes les cases d’une liste. Concrétiser ces projections faite d’une ancienne vie sur une aventure fantasmée. A la place je m’accorde l’insolence de lézarder au soleil. C’est une activité bénéfique. Des pensées simples se présentent à moi. Il faut apprendre . Il faut redevenir un débutant. […] s’offrir l’ivresse d’un nouveau monde. Et se laisser conquérir par lui. »

S’installer petit à petit, d’abord défaire la vaisselle puis, s’il reste des cartons, ils attendront. Certains attendront la fin du récit pour dévoiler ce qu’ils contiennent de la vie d’avant. Tout est maintenant une affaire de don. Don de soi à l’immédiateté et à la nature, au temps et à la beauté. Don de soi aux activités nautiques, qui vont prendre de plus en plus de place.

Mais ce cheminement serait vain s’il n’était qu’une fuite. Tout quitter c’est aussi tout construire, tout se-construire et enfin regarder au fond de soi. Effacer par celui des vagues les bruits du monde. Obtenir l’adéquation de son être, de son corps, et du monde alentour. Cela passe par un retour sur son enfance, notamment ce séjour au camping où elle découvre le surf. Ces pages consacrées à l’enfance ne sont pas les plus faciles à lire, mais elles forment le complément nécessaire d’une histoire sinon trop légère.

Eloge du Surf

L’Australienne Fiona Capp, dans ses romans, a donné la mesure de la passion du surf (1). A son tour, Anaïs Vanel fait du surf cet élément révélateur qui lui permet de passer d’une vie l’autre. Le surf, c’est l’art de se laisser porter, de glisser et, quand on y pense, de diriger l’immense océan pour qu’il vous envole.

« j’ai trouvé un monde éphémère plongé dans l’éternel. »

Mais l’envol est aussi un plongeon. Si toute cette aventure de la liberté commence par la découverte du surf, Tout quitter est aussi une introspection. Il y a des moments suspendus, magnifiques, et une qualité d’expression admirable. Et il y a des moments consacrés à l’enfance, aux petits secrets accumulés qui ont rendu cette échappée nécessaire.

Le prince Siddhārtha Gautama s’était installé contre un arbre et, ayant abandonné tous ses biens, méditait et fusionnait avec la nature. Il eût rapidement des adorateurs, mais ils suivirent son exemple et pas son message, qui disait « ne m’imitez pas, suivez votre propre chemin ». Anaïs Vanel ne nous pas autre chose que Bouddha : suivez mon exemple pour retrouver l’essentiel qui corresponde à votre propre vie. Ne faîtes pas comme moi. Trouvez votre propre vérité. Ma vérité, nous dit-elle, c’este m’être allégée des soucis matériels et de faire corps avec ma planche de surf.

Tout quitter est un livre très beau, par l’ambition, mais aussi par la qualité de la langue. Il laisse au lecteur de magnifiques images pour supporter la grisâtre du quotidien, ou bien, pourquoi pas, prendre son propre envol ! Sa lecture est une expérience très inspirante.

Loïc Di Stefano

Anaïs Vanel, Tout quitter, Flammarion, septembre 2019, 188 pages, 18 eur

(1) Citons Ce sentiment océanique ou Surfer la nuit, tous deux publiés chez Actes sud.

Laisser un commentaire