La France sous l’occupation, ce passé qui n’est jamais passé
Historien de la France
Les éditions Flammarion ont réédité l’année dernière La France sous l’occupation, initialement sorti en 2003, de l’historien britannique Julian Jackson, professeur à l’université de Londres. Jackson est aussi l’auteur d’une récente biographie très remarquée de de Gaulle (Seuil, 2019) qui a connu un certain succès. Signalons d’emblée que Julian Jackson place son ouvrage dans la continuité historiographique des recherches de Robert Paxton dans La France de Vichy (Seuil, 1973).
Le poids de l’évènement
L’ouvrage commence par analyser les prémices de Vichy durant l’entre-deux guerres, sans toutefois adopter un point de vue téléologique, dans la lignée du livre pionnier de Gérard Noiriel, Les Origines républicaines de Vichy (Hachette, 1999). Le moment Daladier apparaît ici pour ce qu’il est, c’est-à-dire une phase d’autorité et de reprise en main de l’État, dans une optique conservatrice, tout en restant dans le respect de la légalité républicaine. On ne dira jamais assez combien le choc de la défaite, imprévisible à l’époque par son ampleur, conditionna le changement politique vichyste.
Une France tétanisée mais antiallemande
L’historien britannique ne donne pas le portrait d’une France vichyste mais plutôt d’une population choquée par la défaite, adhérant à la personne de Pétain en raison de son passé de vainqueur de Verdun. Malgré Mers-El Kébir, la majorité reste antiallemande, souhaitant que les anglais dament le pion aux « boches ». Reste que Vichy met en place sa politique sans rencontrer d’opposition : les partis politiques sont déconsidérés, l’indifférence vis-à-vis des juifs est massive jusqu’en 1942. Les premiers résistants participent de cette ambiance, rejetant la IIIe République vaincue. Cela laisse de la marge à Vichy pour déployer son projet.
Un projet politique ambigu
Vichy, on le voit dans ce livre, est une « dictature pluraliste », pour reprendre le mot de Stanley Hoffmann. On y croise des traditionnalistes, plus ou moins maurrassiens, des catholiques, des libéraux déçus, bien des militaires et quelques personnalités issues de la gauche. On peine au final le projet politique du régime, soumis aux aléas des circonstances et à la pression grandissante de l’occupant. Réactionnaire et prônant le retour à la terre durant l’été 1940, Vichy se résout à faire appel à des technocrates pour faire fonctionner l’économie avec comme objectif la rationalisation, l’efficacité et la collaboration. Collaboration est bien le maître-mot du régime, son choix initial et jamais démenti. La responsabilité politique de Pétain, Laval et Darlan est ici indéniable.
Et après ?
Cet ouvrage a de nombreux mérites, dont la clarté et la synthèse. Jackson démontre aussi à quel point la mémoire des « années noires » s’est transformée pour devenir progressivement envahissante dans les années 70-80, un retour de balancier par rapport à l’immédiat après-guerre. Il accorde aussi une place aux résistants de toute obédience à qui il a fallu bien du courage pour se manifester.
Un ouvrage recommandé donc mais qui n’apporte que peu par rapport à Paxton ou à Pierre Laborie (qui démontra l’hostilité de l’opinion française face à la politique de collaboration). Reste qu’offrir une synthèse claire et bien écrite n’est pas aisée !
Sylvain Bonnet
Julian Jackson, La France sous l’occupation, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Flammarion, « au fil de l’histoire », mai 2019, 864 pages, 25 eur