Un chagrin français, la République à bout de souffle ?

L’observatrice angoissée

On a lu (beaucoup) la journaliste Anne Rosencher quand elle travaillait à Marianne où elle a été notamment directrice adjointe de la direction. Désormais à L’Express comme directrice déléguée, elle publie régulièrement des articles et des éditoriaux qui ont dû certainement nourrir Un chagrin français, essai publié en 2022 aux éditions de L’observatoire et repris chez Alpha en poche. Le livre commence par un prologue rédigé comme une adresse à Henri, né Haïm, Rosencher, son grand-père, juif polonais venu vivre en France car c’était la République, celle de la Révolution et de Dreyfus. Le ton de ce prologue est plutôt angoissé car pour notre journaliste, la République s’affaiblit. De fait, on ne vit plus ensemble.

 Des mots qui font mal

Anne Rosencher construit son raisonnement à partir de mots devenus des « mots valises » : populisme, progressisme, Vivre-ensemble. Des mots qui servent au fond les élites. Dans « populisme », il y a le peuple, vaguement méprisé et souvent ignoré, celui qui ne vote plus ou vote mal, celui qui a du mal à boucler ses fins de mois et qui souffre de la désindustrialisation, à qui on fait miroiter un revenu universel dont il ne veut pas. Progressisme est le plus terrible. Derrière le mot se cache le néo-féminisme et le nouvel avatar de l’antiracisme, le « woke » bien sûr avec la cancel culture venue des campus américains. Aujourd’hui aux Etats-Unis, un homme ne peut plus, en tant qu’écrivain, choisir le point de vue d’une femme (il ne l’est pas) ou un blanc écrire sur un noir (c’est encore pire !). Tout cela existe là-bas, tout cela arrive aussi chez nous, Anne Rosencher a raison de dénoncer avec justesse les dérives.

Universalisme républicain à la dérive

Et puis il y a ce « « vivre-ensemble », fusion de deux mots, formule répétée à l’envie par des politiques ayant appris par cœur leurs éléments de langage avec des communicants payés grassement. L’expression cache le malaise de l’universalisme républicain, menacé par la montée de l’Islam radical et du multiculturalisme. Il cache l’entropie qui ronge notre société en voie de déclassement économique, voire éducatif (il suffit de voir le classement PISA). Et pourtant, il suffirait de peu à ce pays pour se rétablir. Une ambition commune, un destin commun. Autrefois, cela s’appelait la France et la République, celle de la Résistance, de Marc Bloch et du général de Gaulle. Celle d’Aragon et de Gainsbourg. Comme Anne Rosencher, je souhaite un sursaut.

Un chagrin français est un très bon essai.

Sylvain Bonnet

Anne Rosencher, Un chagrin français, Alpha « essais », avril 2023, 160 pages, 6 euros

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