« Artana ! artana ! » de Didier Daeninckx, bienvenue dans la jungle urbaine

Ah! les banlieues de la République… que de changements depuis les années soixante-dix et les blousons noirs, encore plus depuis De bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau (eh oui, il fit aussi des films magistraux, ce sombre pervers). Didier Daeninckx, l’auteur d’un polar exceptionnel, Meurtres pour mémoire (Gallimard, 1984), a justement choisi la banlieue comme sujet pour Artana ! Artana ! Allons donc voir de quoi il retourne…

 

Une mauvaise nouvelle…

 

Erik Ketezer, vétérinaire en Normandie, s’occupe des animaux qu’on lui amène avec attention. Un coup de fil de Loubna, la sœur de son ex compagne Sylvia, le ramène vers son passé. Elle lui annonce que Rayan, leur frère, a été tué en Thaïlande. Elle lui demande d’aller chercher son corps et de le ramener en France.

 

 

Retour sur le passé

 

Le consul, un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux longs, habillé d’un costume blanc et chaussé de baskets crème, m’attend dans le hall, flanqué de son chauffeur qui exhibe l’écran d’une tablette tactile où clignote mon nom. Il me tend la main tout en exhalant la fumée aromatisée à la réglisse de sa vapoteuse. / -Bienvenue en Thaïlande, monsieur Ketezer. Vous avez fait bon voyage ? »

 

À l’autre bout du monde, Ketezer retrouve beaucoup de gens de sa ville natale, Courvilliers, y compris un adjoint municipal qui se la coule douce en boîte de nuit. Les circonstances de la mort de Rayan l’intriguent. Après être revenu en France et avoir assisté aux funérailles, Ketezer décide de s’installer quelques jours à Courvilliers. Il y découvre une municipalité liée aux dealers, des élus front de gauche s’abouchant avec des imams islamistes. Et puis il y a Sylvia, internée depuis plusieurs années… Son lourd secret va se dévoiler à Ketezer.

 

Un roman de notre temps

 

Artana ! Artana ! (le cri du guetteur quand les flics arrivent lors d’un deal de drogue) décoiffe sérieusement, ami lecteur ! Une remarque cependant : nous avons affaire ici à un roman noir publié dans une collection « blanche » alors qu’il serait plus à sa place en Série noire. Jugez donc un peu : Daeninckx tire à boulets rouges sur la gestion des anciens bastions communistes du 93, désormais en pleine dérive clientéliste, voire mafieuse, sans compter l’influence des islamistes. On croise dans ce roman d’anciens élus, animateurs culturels, fonctionnaires territoriaux revenus de tout, buttes témoins d’un monde décédé.

Il y a de la mélancolie dans ce roman où le principal personnage est passif (l’action se passe en dehors de lui) et est lui aussi un témoin. On y note aussi une mention de la montée en puissance non seulement de l’antisémitisme mais aussi du racisme anti-asiatique, cela mérite d’être noté.

Un grand roman noir.

 

Sylvain Bonnet

 

Didier Daeninckx, Artana ! Artana !, Gallimard, mai 2018, 208 pages, 18 euros

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