Vers une science sociale du vivant de Bernard Lahire

Bernard Lahire, directeur de recherche CNRS et membre du Centre Max-Weber de l’ENS de Lyon, a décidé de casser la baraque de la sociologie ! Mais c’est pour construire un solide bâtiment. En un mot : il veut faire de la sociologie une vraie science, bien dure. Pas une de ces sciences molles, soi-disant humaines, qui ressortiraient plutôt à la philosophie, voire à la littérature. 

Il estime que la sociologie aujourd’hui est constituée d’une série d’essais divers souvent talentueux mais dont le principal défaut est de ne pas constituer une unité. Chaque sociologue constitue son système, comme le font les philosophes, ce qui empêche donc toute accumulation du savoir. Il n’hésite pas à ranger Philippe Descola ou Bruno Latour, voire Pierre Bourdieu, dans cette catégorie…

Ce qui manque à toutes ces recherches, ce serait une axiomatique commune partagée par tous les sociologues. En physique, par exemple, tous les physiciens se situent dans le cadre de la théorie de la gravitation de Newton, comme dans la théorie de la relativité générale, et aujourd’hui la théorie quantique.

Pour une sociologie matérialiste

Bernard Lahire pense que le matérialisme peut fournir cette axiomatique. Il invoque à ce propos le communisme de Marx et Engels. Est-ce pourquoi Nicolas Weill, dans son article paru dans le journal Le Monde, le juge péremptoire ? Lahire cite cette phrase de Marx : « L’histoire est elle-même une partie réelle de l’histoire de la nature ». Il cherche à réaliser cette prévision, selon laquelle « les sciences de la nature engloberont plus tard la science de l’homme »

Il s’agirait donc d’être matérialiste en sociologie. Ce qui consiste à ne jamais oublier que :

« Les sociétés répondent toujours, d’une manière ou d’une autre, aux exigences fondamentales de la survie et de la reproduction ».

Les sociétés quelles qu’elles soient, animales comme humaines : le social humain s’inscrit dans le continuum du vivant.

Les grands invariants de l’humanité

Lahire propose donc comme socle à la sociologie cinq grands faits anthropologiques qui devrait rassembler tous les chercheurs :

– l’altricialité : le développement long des enfants, leur vulnérabilité entraîne des rapports à la fois d’empathie et de domination qui structurent le social. ;

– la partition sexuée entraîne la division du travail reproductif et structure les rapports homme-femme ;

– la relative longévité de l’espèce humaine ;

– la socialité d’homo sapiens, jamais un humain n’a vécu seul ;

– l’historicité des groupes humains permettant une accumulation culturelle.

Il assortit ces grands faits de dix sept lois. L’ensemble définit les structures sociales profondes qui restent invariantes, quelles que soient les systèmes politiques et culturels.

Les enjeux du vyvant

Il ne s’agissait là que de l’humain… Lahire tente ensuite de monter encore d’un degré dans la généralisation en cherchant à identifier les enjeux auxquels toute forme de vie se trouve confrontée.

Le livre se clôt sur une description détaillée des cinq propriétés de tout vyvant (traduction de lyfe, ou « vie universelle » : soit, en exobiologie, un essai de définition de ce que pourrait être la vie en général, au-delà des définitions restrictives de la vie sur terre) : la dissipation, soit l’exploitation des énergies pour se maintenir en vie ; l’autocatalyse, soit le fait de croître et de se reproduire ; l’homéostasie, soit la capacité d’établir une séparation entre le « soi » et le « hors soi » ; l’apprentissage, soit le fait d’extraire et mémoriser de l’information ; la défense contre les prédateurs.

Il précise ainsi ce qu’il a avancé dans sa dernière œuvre, Les Structures fondamentales des sociétés humaines, qui a représenté un tournant majeur dans les sciences sociales.  

Jean-Claude Liaudet

Bernard Lahire, Vers une science sociale du vivant, Questions et avant-propos de Laure Flandrin et Francis Sanseigne, La découverte, janvier 2025, 256 pages, 20,50 euros

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