Café de la jeunesse de Didier Goupil

Du métier avant toute chose. L’art du nouvelliste est un art difficile et de longtemps, je n’avais lu de si belles pièces, des pièces si savamment et élégamment composées. Par savamment, j’entends le dosage de l’explicite et de l’implicite et par élégamment, l’esprit de pudeur et la générosité en acte dans l’exercice.

Je savais de longue date –  j’avais lu Femme du monde en 2003 –  Didier Goupil troubadour contemporain, aède délicat et sensible des misères humaines, quand ici j’ai découvert un émule du divin Mistral, qui, à une jeune Provençale, jadis, avait offert de figurer aux livre des Légendes non comme simple victime mais comme héroïne

Qui avait été la première Mireille, la première meravido, merveille ? Personne n’en savait plus rien : une histoire perdue dont il ne restait que le nom de l’héroïne, avec un rayon de beauté dans une brume, un brame d’amour.

Au fil des pages du Café de la jeunesse, cette brume et ce brame se déploient à contretemps avec un talent tout à fait remarquable.  

À contretemps et pourtant au cœur du monde contemporain, à l’assaut de ses vices communs et de ses œuvres de mort : ce complot quasi généralisé contre ce qui est singulier, beau, doux et tendre, ce recueil d’autoportraits et de portraits à la plume sèche et suave à la fois.

Si vous êtes sensible, comme je le suis, au travail de Bertrand Bonello, le plus doué et le plus nécessaire de nos cinéastes contemporains, vous aimerez lire Didier Goupil, particulièrement la seconde nouvelle ou séquence du volume, construite à l’instar de Coma comme une lettre à sa fille, chenille en passe de se faire papillon, sa môme sur le point d’entrer dans la carrière : braver à mains nues et en solitude un monde peuplé de prédateurs.

Comment faire encore rimer le nécessaire chant de confiance dans la vie avec un conte de Grimm ? À cette question essentielle, loin, très loin de la cage aux singes littéraires, de Saint Germain ou d’aucune école de Brive ou de Mantes-la-Jolie, la voix de Goupil impose avec fermeté sa cantate de la vie qui va, abîmée, souillée, souvent cauchemardesque et pourtant merveilleuse.

Le recueil ne doit pas son titre à Modiano, il l’avait précédé.

Ce café est nôtre à tous, lecteurs de Villon, amoureux de Verlaine, de Mistral et de Giono, le zinc des âmes sensibles qui, d’un geste assuré, se sont détournés de l’affreux naturalisme et du grotesque pour se saisir des âmes, les déployer doucement, à l’instant où, semblables aux papillons, colibris sous les étoiles de mon cher Barrès ou vers luisants dans l’aube d’été et la nuit hivernale, celles-ci font entendre, anonymes et tremblantes, le chant paisible de la convenance d’être nées. Ici l’heure bleue, à chaque âge de la vie, affronte en combat singulier le saccage du monde comme il va.

Me plaît particulièrement chez Goupil sa manière de dire nous toujours en disant je, son attention au tremblement des êtres, à la sensualité de l’existence, surtout son extrême douceur- pudeur pour dire l’innommable. Dire le martyre des femmes évanouies et niées par ceux qui devaient leur tenir lieu d’amants, compagnons ou maris, de frères, d’amis, de père et d’amoureux et se sont avérés leurs bourreaux ; celui des êtres qui vieillissent habités par la peur, gâtés par l’ordinaire des jours, hantés par la mémoire des temps mauvais. En chaque ride, tavelure ou cheveu blanc, Goupil invite son lecteur à lire les traces d’un combat. Ce recueil constitue une reprise ou variation du chant flaubertien auguré par le sacre de Catherine Leroux, servante usée par cinquante ans de lessives et de peines, poursuivi avec le perroquet de Félicité et l’advenue à la sainteté du cruel Julien.  

La Catherine Leroux de Goupil s’appelle Lola. Cuisinière, elle a servi des lampées de Rivesaltes et préparé moult plats merveilleux mais à présent, elle n’est plus qu’une vieille femme dont la mémoire chancelle, s’éloigne irrémédiablement. En quelques lignes, le drame d’une invisible qui se souvient avoir eu l’âge de sa fille – encore elle – et la bouche comme une chanson…

Lisez, si m’en croyez, Didier Goupil, l’écrivain du soleil, sa langue d’oc de fils du Sud, offrez-le sans modération à ceux et à celles que vous aimez afin que le sel de la vie, le goût des jolies choses, des chansons d’autrefois et de toujours, reviennent, ruissellent en eux comme un chant oublié.

Ce garçon sait les secrets des femmes qui, avec une rare pudeur et des mots justes comme ceux du Camus de Noces à Tipaza, évoque l’écart insécable entre le désir et la peine, la joie et l’horreur, le crime d’amour et le châtiment comme il sait inguérissables les blessures de l’enfance auxquelles, avec une constance sans égale, il oppose l’art :

Son pays aujourd’hui c’est la scène

La toile ou la table de mixage

La page blanche posée devant lui… et que l’encre peut-être, ce soir ou demain, va faire saigner.  

Goupil est de ceux qui savent l’existence tragique.  Loin de s’en repaître et de s’en délecter d’une joie mauvaise, à l’instar de nos ogres assoiffés de sang, qui, de Douleur, Sperme et Sang font  l’occasion d’une monstration complaisante, ce sage, à contre-courant, compose un  chant d’amour et néanmoins de guerre, prouvant à tous ces beaux Messieurs et à leurs thuriféraires, qu’on peut faire de la bonne  littérature avec de beaux sentiments, surtout que l’exercice, plus difficile et plus périlleux, en un maigre recueil païen évanouit ces pavés si prisés, qui de l’homme, font  un misérable pécheur et des corps, de la viande en voie de putréfaction.

Pour Goupil hourrah ! Hourrah ! Les oreilles et la queue, sans oublier le tour de piste à bras d’hommes !

Sarah Vajda

Didier Goupil, Café de la Jeunesse, Zinedi « Textures », 2023, 16 euros

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