Les grandes choses de Christian Dotremont, un poète surréaliste belge à redécouvrir

L’exposition sur le surréalisme du centre Pompidou qui vient de se clore, a permis de rappeler combien le mouvement donna un nouveau souffle à la création poétique, y compris en dehors des grandes figures de poètes que furent Breton, Aragon, Desnos, Soupault ou Eluard. Ainsi, la collection Poésie /Gallimard fait paraître une anthologie poétique de 33 femmes surréalistes, et remet également à l’honneur une figure majeure du surréalisme de la seconde génération que fut Christian Dotremont (1922-1979), dans une anthologie poétique, intitulée Les Grandes choses.

« Depuis longtemps, depuis qu’il y a les arbres, et même avant,

Depuis qu’il y a le silence,

J’avais envie de dire quelque chose, de le rompre comme du pain, le silence,

D’être porte-parole porté par la parole… »

« Les Grandes choses »

Le recueil, présenté par Michel Sicard, rassemble un grand nombre de ses textes parus, soit en plaquettes ou en revue, soit dans des livres d’art avec lithographies qui ne peuvent être reproduites dans le cadre du format de la collection ; il en est de même des nombreux « logogrammes » du poète qu’il réalisa à l’encre de chine.

Une interrogation sur la trace et le signe

Christian Dotremont, qui, selon ce que déclare son ami Yves Bonnefoy dans une éclairante postface, se voulait avant tout surréaliste, demeure une figure très singulière au sein du mouvement. Tout d’abord, il appartient par ses origines à la mouvance belge dont les expérimentations étaient plus celles de linguistes que de visionnaires et qui voulut maintenir le lien entre action politique et invention poétique. Il fut aussi l’un des fondateurs du groupe « Cobra », ce rassemblement d’artistes nordiques qui avaient l’ambition, dans les années 45-50, de favoriser un art d’une expression libérée des références et des canons de l’art occidental.

Les choses se multiplient se déplient

Les plies des plis avalent les feuilles de l’œil

Les profils ne tiennent qu’à un fil

Le bobine en découd fait les quatre cents coups

Les statues perdent leur cou prennent leur jambage

A leur cou elles courent elles font coucou

« Les jambages au cou »

La Laponie, une expérience « géopoétique »

Après la dissolution du groupe, les voyages en Laponie prirent une importance fondamentale, lui permettant de vivre poétiquement et d’inscrire dans les formes et images de son écriture les expériences qu’il vivait au contact des espaces naturels et des gens dont il partageait la vie. En témoignent quelques titres de ses poèmes comme l’Auberge, Hors blanc, Vues, Laponie, Avancements d’un phoque, à côté de ceux qui évoquent des recherches sur la langue et le signe comme Jambages au cou, Mémoires d’un imaginiste, Ltation exa tumulte.

Les grands espaces blancs de Laponie renvoient à ceux de la page, la solitude du promeneur à celle du mal-aimé, les runes, à la perplexité devant les signes.

« Toi si agile et malhabile danseur invisiblement chargé de siècles, les jambes arquées, les pieds en dedans, comique mais jamais dégringolant, ours ne glissant que par douceurs, les paupières dormeuses, à quel langage te réduire, puisque tu es aussi le paysage, puisque tu es inextricablement la danse lourde, la fixité nomade, la lenteur et l’éparpillement, le livre ouvert et le nœud… »

« Sur les îles »

Poèmes en vers libres, fragments de journal, prose poétique en forme de logorrhée d’un certain Logogus, le recueil retrace 30 ans d’expérience poétique « de cette vie toujours plus resserrée sur son essence métaphysique, et le meilleur d’une œuvre qui se situe, unique de sa nature, en une région extrême et je dirai même quasi mystique » (Yves Bonnefoy).

Pour compléter cette immersion dans l’esprit Cobra, on peut voir l’exposition consacrée à Alechinsky à la villa Empain à Bruxelles, ou, un choix de lithographies de l’artiste à la galerie Lelong & Co. à Paris.

Florence Ouvrard

Christian Dotremont, Les grandes choses, anthologie poétique, 1940-1979, Gallimard, janvier 2025, 416 pages, 12,30 euros

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