Leçons américaines d’Italo Calvino
Italo Calvino devait tenir un cycle de six conférences sur la littérature. Six thèmes, six valeurs essentielles, six propositions pour le prochain millénaire. Six conférences qu’il ne pourra pas prononcer, dont cinq thèmes nous sont tout de même parvenus (légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité), et que Gallimard réunit sous le titre générique de Leçons américaines.
Visions d’avenir
Ces Leçons américaines n’ont pas pour but de nous dévoiler la littérature d’Italo Calvino ni même de nous initier à celle-ci, mais bien de suivre une route définie par l’écrivain italien, être une sorte de guide métaphysique et spirituel, dont les références et les extraits, sont autant de réflexions difficiles et intéressantes pour permettre au lecteur de comprendre les pistes proposées pour le millénaire à venir.
Italo Calvino écrit en 1985, et « Quinze ans à peine (le séparent) du nouveau millénaire. » Aussi, ce millénaire qui s’achève, « c’est, peut-être, la fréquence avec laquelle on s’interroge sur le sort de la littérature et du livre à l’ère technologique dite postindustrielle. »
Le der des ders
Au moment où Italo Calvino écrit ces Leçons américaines, il est reconnu mondialement par son œuvre foisonnante et polymorphe. Membre de l’Oulipo, il a publié un nombre conséquent de romans, d’essais, de contes, d’autoportraits et d’expériences littéraires. Notre chance, c’est que ces conférences sont rédigées comme un texte à faire paraître et ne sont pas des notes éparses dont on n’aurait rien retenu. Leur presque presque achèvement participe à la joie de lire ces textes et d’en goûter la saveur et la spiritualité.
L’avenir de la littérature
Lorsqu’on voit la telle profusion de romans publiés à chaque rentrée littéraire, la telle profusion de mots écrits un peu partout dans des livres, des journaux, sur les réseaux sociaux, il est aujourd’hui difficile de croire encore en la littérature, de penser que le livre survivra au nombre, à la masse, à la pression économique et concentrique des œuvres publiées. Pourtant, pour Italo Calvino qui, bien sûr, ne connaissait pas encore les réseaux sociaux et leurs dégâts sur la langue, il n’en est rien. « Ma confiance dans l’avenir de la littérature, écrit-il, tient à ce que je sais qu’il est des choses que la littérature est seule à pouvoir donner, avec ses moyens spécifiques. »
La littérature et ses rhizomes
Et, c’est donc au travers de cinq thèmes, puisque le sixième ne fut pas totalement écrit et qu’il nous parvient inachevé, qu’Italo Calvino nous parle de littérature. Il n’est pas professeur et ne s’oblige pas à employer une méthode pédagogique rigoureuse grâce à Dieu, mais c’est bien dans un joyeux désordre qu’il cause, qu’il raconte, qu’il mêle avec bonheur littérature italienne et littérature étrangère, poésie et roman, textes spirituels et textes sacrés, textes antiques et contemporains, mythologie et philosophie. Les œuvres sont les jalons d’une réflexion peu banale et riche de références qui éclairent notre cheminement, notre future destinée, notre millénaire déjà entamé. De versions originales en traduction française ses conférences sont le fruit d’une expérience d’écriture et de lecture, sont des pistes de réflexions, des moments de pensée, des moments d’intertextualité qui rappellent bien notre époque et ses rhizomes.
Depuis quarante ans que j’écris des fictions, après avoir exploré divers chemins et accompli diverses expérimentations, l’heure est venue que je cherche une définition compressive pour mon travail ; je proposerais celle-ci, mon opération a été le plus souvent une soustraction de poids. »
Des leçons pour demain, témoignage d’un intellectuel affligé par les images, l’essor des technologies, le poids de l’époque. Italo Calvino choisit plutôt la légèreté, l’exactitude et la visibilité, afin de proposer un modèle d’« invention de l’homme intérieur ». Ni testament posthume ni cahier de morale, les conférences de Calvino sont le fruit d’une longue expérience d’écrivain, elles sont le bouillonnement d’une profonde réflexion pour aborder un temps nouveau avec le sang neuf, l’innocence de l’enfant, et une mémoire légère, qui s’est fait la synthèse des siècles passés.
Marc Alpozzo
Italo Calvino, Leçons américaines, nouvelle traduction de l’italien par Christophe Mileschi, Gallimard, « Folio », novembre 2018, 224 pages, 7,40 eur