Redrum : le faux, le vrai et la nature de l’homme

Un auteur en marge

Sans connaître plus à fond ses livres, on relève en regardant ses publications que Jean-Pierre Ohl a des centres d’intérêts très variés. On lui doit une biographie de Charles Dickens (Gallimard, 2011) et des sœurs Brontë (Gallimard, 2019), des romans comme Les Maîtres de Glenmarkie (Gallimard, 2008), Le Chemin du diable (Gallimard, 2017) et aussi Monsieur Dick (Gallimard, 2004). Redrum est originellement paru en 2012 aux éditions de l’Arbre Vengeur et vient de bénéficier d’une réédition en poche chez « Folio SF ». Il s’agit d’une fiction grandement hantée par le cinéma comme on va le voir.

Les ombres du cinéma au bord de l’apocalypse

Spécialiste de Stanley Kubrick, Stephen Gray est invité, en compagnie d’autres critiques de cinéma à un colloque sur une île au large de l’Ecosse. Tandis que le monde s’embrase en Asie, que la guerre menace, il y retrouve des débats passionnants : le formalisme est-il une impasse ? Le western vaut-il quelque chose ? Stephen est surtout fasciné par l’homme à l’origine du colloque : Onésimos Némos, qui est aussi l’inventeur de la Sauvegarde, cette copie des morts que l’on peut mettre en route quand on le désire. Or Némos cherche sa compagnie, connaissant sa vie et aussi l’importance qu’ont les morts pour lui. Il lui propose ainsi une expérience :

— “Asseyez-vous, Stephen, s’il vous plaît. Accordez-moi votre confiance pendant quelques petites minutes, et les choses seront plus claires entre nous. Plus simples. Voilà. Je vais lancer la Sauvegarde. Vous pouvez sortir quand vous voulez en prononçant le mot…” / — “Tsimtsoum, je sais.” »

Stephen revoit ainsi sa mère, lui reparle. Pendant ce temps, le monde s’embrase tout autour de l’Ecosse. Entouré de robots à l’image des stars de cinéma disparues, Stephen commence à se demander si la réalité n’est pas en train de se distordre.

Un roman troublant

Redrum suscite l’intérêt par ses références constantes au cinéma et à ses stars. On retrouve Kubrick bien sûr mais aussi Gene Tierney, Marylin ou James Stewart. Quoi de plus normal puisque ce roman interroge l’image que nous donnons de nous-mêmes à travers le temps. Cinéphile préférant la réalité des films à la réalité du monde, il est logique que Stephen Gray en vienne à un moment du roman à se questionner sur la nature même de la réalité car il sera lui aussi « sauvegardé », copié (dévoiler ici cet aspect du roman n’est pas essentiel) : sa copie n’en reste-t-elle pas humaine ?

Nous voilà dans les marais du transhumanisme, Redrum est donc bien de la science-fiction : je laisse le lecteur juger mais, soyons clairs, ça vaut le coup d’œil.

Sylvain Bonnet

Jean-Pierre Ohl, Redrum, Gallimard, « folio SF », couverture de Pascal Guédin, février 2019, 240 pages, 7,90 eur

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