Demonia, quelques cadavres de plus pour Lucio Fulci
Un groupe d’archéologues se rendent au cœur de la Sicile afin d’étudier des vestiges datant de la Grèce antique. Déjà perturbée à son arrivée et attisée par la curiosité, Liza, protégée du professeur Evans, pénètre dans les souterrains condamnés d’un ancien couvent. Elle découvre alors les corps de nonnes, crucifiées et emmurées depuis des siècles. Elle entame une investigation qui la conduira tout droit aux portes de l’enfer tandis que ses compagnons tombent comme des mouches…
Moribond il y a encore peu, le genre horrifique s’est refait une santé au box-office international depuis quelques années. Nantis de petits budgets faciles à rentabiliser, Smile, Terrifier 1 et 2, Evil Dead Rise et les deux derniers opus de Scream ont engrangé d’énormes bénéfices pour la grande joie des studios. Nouvel âge d’or ou triomphe momentané pour le cinéma d’épouvante, il est trop tôt pour le dire. Mais quoi qu’il en soit, un tel succès peut inciter un large public à (re) découvrir d’autres pépites d’autant plus que quelques éditeurs ont le bon goût de ressortir quelques trésors perdus ou oubliés.
C’est par exemple le cas de Carlotta qui rend enfin visible l’un des ultimes travaux de Lucio Fulci, Demonia. Considéré encore aujourd’hui comme l’un des papes de l’épouvante italienne, aux côtés des immenses Mario Bava et Dario Argento, Lucio Fulci, tout comme eux, a contribué à l’ascension du Giallo, cocktail explosif mélangeant habilement des éléments du polar, du film d’horreur et érotique. Mais Lucio Fulci se distingua de ses confrères par son recours parfois excessif au gore, employant les artifices les plus sadiques pour supplicier ses protagonistes.
Cependant, derrière cette esbroufe se dissimulait dans son œuvre un discours social souvent féroce, irrévérencieux et provocateur. Quant à la cruauté de sa mise en scène, elle servait judicieusement sa critique des institutions et son regard cynique sur la morale. Ces caractéristiques constantes se retrouvent bien entendu dans Demonia, qui, sans constituer le point d’orgue de la carrière du cinéaste, font étalage de son savoir-faire unique.
La fille qui en savait trop
Si l’on se concentre uniquement sur l’écriture des personnages, on s’aperçoit très vite que Lucio Fulci emploie ici des archétypes standards, peu originaux, mais qui ont le mérite d’être efficaces. Que ce soit le professeur d’âge mur épris de son élève (avec une attirance quasi incestueuse), l’équipe d’archéologues enjoués et soudés, cette vieille fille solitaire, recluse avec ses chats et détentrice de la vérité ou le boucher, gardien d’un secret inavouable, tous se plient à des critères déjà vus et très utilisés dans le genre. Cependant, le cinéaste se plaît à chasser les a priori et se moque de l’innocence des uns et des autres, conformément à sa vision retorse.
En effet, les victimes du jeu de massacre pêchent surtout par leur curiosité ou leur volonté de préserver ce qui peut encore l’être. Des cibles parfaites pour une foule haineuse et des spectres revanchards voués au mal. Véritable ingénue, Liza devient la marionnette malgré elle, des forces infernales qui sévissent dans cette petite enclave sicilienne, très ancrée dans le dogme religieux et frappée dans le passé par la traîtrise des disciples des ténèbres. Sa soif de la connaissance va hélas la conduire, elle et ceux qui l’approchent à un destin funeste. Lucio Fulci profite alors de l’odyssée de son héroïne pour exposer âprement les différentes facettes de l’obscurantisme chrétien, dévots fanatiques ou adeptes sataniques, tout est à jeter (ou à brûler). Mais ici le calvaire ne s’arrête pas au bûcher pour la jeune femme, il débute à peine !
En gore et encore
Car même en bout de course, le cinéaste n’hésite pas à assassiner sauvagement les personnages les uns après les autres à l’écran, avec une inventivité dans la perversion et l’atrocité dont lui seul possède les clefs. Il devança à cette occasion Paul Verhœven avec une scène durant laquelle une nonne en plein coït cherche sous les draps la lame pour poignarder son amant du jour. Basic Instinct avant l’heure. En outre, Lucio Fulci fait monter la pression au fur et à mesure que l’investigation se poursuit ; les révélations se succèdent tandis que le long-métrage s’enfonce crescendo dans l’horreur et l’absurde. Les meurtres sommaires et rapides laissent place progressivement à des exécutions qui donnent lieu à une lente agonie.
Le sort du malheureux scientifique sur son bateau serait presque envieux comparé à ce qui attend les autres infortunés. La fameuse imagination de Lucio Fulci hante chaque image au moment d’illustrer le carnage, la douleur et le sadisme, plan-séquence à l’appui. La scène d’énucléation par les chats ou celle, insoutenable pendant laquelle un enfant déclenche le piège innommable qui éviscérera son sauveur, incarnent à elles seules le talent macabre du cinéaste. Et si beaucoup lui reprochèrent encore une fois son attrait pour une violence exacerbée et décomplexée, ils ne pourront en aucun cas lui enlever sa maîtrise peu égalée d’un gore quasi esthétique.
De fait, pour l’un de ses derniers coups de semonce, Lucio Fulci n’a pas réinventé le Giallo et encore moins sa propre filmographie. Mais il a réussi en revanche à condenser tout ce qui fait la force de son cinéma, crasseux, poisseux, sans concession. Malgré un mauvais goût particulièrement prononcé, Demonia personnifie les bons côtés et les aspects indélicats d’un genre tombé en décrépitude au moment où il fut tourné.
François Verstraete
Film italien de Lucio Fulci avec Brett Halsey, Meg Register, Lino Salemme. Durée 1h28. Disponible en DVD/ Blu-ray aux éditions Carlotta.