Waiting for Tina Aumont
WQui se souvient encore de Tina Aumont ?
Tina Aumont a pourtant tourné dans un paquet de films, mais bien peu de première importance. On peut se remémorer sa prestation d’Indienne dans Texas, nous voilà où Alain Delon essayait de rivaliser avec Dean Martin sur le plan de la comédie. On préférera pointer Casanova, un adolescent à Venise ou Le Casanova de Fellini (eh oui, elle a joué dans les deux mais pas le rôle de Giacomo). Peut-être sa courte prestation dans Cadavres exquis ? Ou celle dans Malicia ? Ou même dans Salon Kitty ?… Peu importe au final.
Tina eut un destin comparable à celui de Maria Schneider. Mais, contrairement à cette dernière, elle ne dansa aucun dernier tango à Paris et n’exerça jamais la profession de reporter. Elle était fille d’un acteur célèbre nommé Aumont (Jean-Pierre, pas Michel) et d’une actrice non moins célèbre prénommé Maria (Montez). Un séducteur et une bombe anatomique hispanique. Deux stars. Dont une décéda alors que la gamine n’avait que cinq ans.
Parce qu’elle avait cette ascendance, parce qu’elle était née à Hollywood et parce qu’elle était photogénique, Tina tenta de faire l’actrice.
À la place du triomphe — elle ne fut jamais une star —, elle rencontra la drogue. Ou plutôt les drogues. Elle s’en amusa, en usa et en abusa. Flinguant au passage sa carrière et, par voie de conséquence, sa vie. Telle était Tina.
une biographie poétique
Dans un ouvrage qui se veut une « biographie poétique », Jean Azarel s’efforce de raconter son parcours. Lui-même a été secoué lorsque, jeunot, il vit un film avec Tina. Sa vie en fut changée. Bien des années plus tard, il décide de partir à sa recherche, ou plutôt à celle de son fantôme.
Il s’agit, donc, d’un livre à la première personne. Azarel raconte en détails comment il remonte une piste désormais froide comme la mort (Tina disparut en 2006) mais qu’il tente de réchauffer sous la flamme du souvenir et de l’amitié. Parfois les feux de l’amour, aussi. Voici l’errance d’un biographe à la recherche d’informations et de témoins.
Exercice difficile mais réussi. En grande partie grâce à la qualité d’écriture de l’auteur. Il sait raconter ce qu’il voit autant que ce qu’il ressent. Page après page, mètre après mètre, on l’accompagne dans sa quête impossible. Pourquoi impossible ? Parce que jamais il ne pourra atteindre le graal : interviewer Tina !
Dans ce lent et long voyage (500 pages tout de même), les contours du fantôme se dessinent mieux. La drogue est omniprésente. Plus un mari (Christian Marquand) et pas mal d’amants. Le cinéma paraît en second plan. Une ombre qui plane plus qu’une lumière qui rassure. Des films de plus en plus undergrounds, des essais rarement réussis, des machins intellos à faire s’extasier des hâbleurs convaincus que le cinéma doit être chiant ou ne doit pas être. Tina traîna dans tous ces mondes, avant de traîner derrière elle une bouteille d’oxygène pour cause de maladie.
Le risque de construire un ouvrage de la sorte est d’emprunter des chemins de traverse voire de s’enfoncer dans des impasses. Ce livre n’y échappe pas. Jean Azarel se laisse aller à parler de tout à fait autre chose, de gloser sur des personnages sans lien direct avec son personnage central. Il s’égare, il rêve.
Néanmoins, il a le mérite de raconter tout. Comment, en partant de rien ou de pas grand-chose il tente de recréer une vie et accessoirement, d’écrire un livre. On devrait conseiller cet ouvrage à tous ceux qui se targuent de rédiger une biographie. Pour leur montrer les vraies difficultés qui parsèmeront leurs chemins : les innombrables refus, les réponses stériles mais aussi les moments de magie. Azarel a presque rédigé un bréviaire du parfait biographe têtu !
Ce sera probablement l’unique vrai livre sur Tina Aumont, actrice dont les photos dénudées resteront plus longtemps dans l’Histoire que ses prestations cinématographiques. Méritait-elle un tel hommage, une telle dépense d’énergie ? Vous aurez la réponse en lisant ce Waiting For…
Ah, au fait, il y a des photos dans ce livre. Noir et blanc. Et chastes.
Philippe Durant
Jean Azarel, Waiting for Tina (A la recherche de Tina Aumont), L’Autre Regard, octobre 2019, 511 pages, 18 eur