Discordance des temps, l’erreur est humaine

L’émission « Heurs et malheurs du participe passé », récemment diffusée sur France Culture dans la série de Jean-Noël Jeanneney Concordance des temps, avait a priori tout pour nous plaire et, de fait, elle nous a globalement plutôt plu, mais elle n’en contenait pas moins deux fausses notes fâcheuses.

Oui, tout pour nous plaire, puisque le grammairien invité n’était autre que Bernard Cerquiglini, auteur, entre autres, de « La langue anglaise n’existe pas », dont nous avons dit naguère le plus grand bien dans Boojum. Tout pour nous plaire aussi, dans la mesure où la question de l’accord du participe passé était en l’occurrence envisagée à travers son histoire, l’histoire de la grammaire rejoignant l’Histoire tout court.

Mais il y eut donc une première fausse note, longuement tenue et dans le même esprit que cette manie très française du secret jadis dénoncée par Pierre Daninos : on s’obstine à présenter comme étant très compliquées des choses fondamentalement simples. Certes, il existe quelques cas subtils où l’accord du participe passé peut prêter à discussion, mais il ne faut guère plus d’un quart d’heure pour en exposer les règles de base, lesquelles permettront de traiter l’immense majorité des cas. Et – ne parlons pas ici de grammaire, mais de bon sens, ce qui, au demeurant, revient presque toujours au même – est-il si difficile de saisir la différence qui, malgré l’apparente identité formelle, existe entre les fruits que j’ai vus mûrir et les fruits que j’ai vu cueillir ?  (Les fruits mûrissent, mais ils ne cueillent pas – ils sont cueillis.)

L’autre fausse note fut brève, mais tonitruante. Pour donner un exemple de passé composé, Cerquiglini, approuvé par Jeanneney, cite la première phrase de L’Étranger de Camus, « Hier, maman est morte ». L’ennui, c’est que ceci n’est pas la première phrase de L’Étranger. La vraie première phrase, c’est : « Aujourd’hui, maman est morte », et cela change tout, puisque, avec aujourd’hui, on ne sait plus trop si est morte est un passé composé (donc une action) ou un verbe être au présent avec morte, adjectif attribut (donc un état).

Cette ambiguïté intraduisible en anglais – ce flou dans la chronologie annonce l’un des thèmes majeurs du livre, puisque Meursault condamné à mort expliquera que ce n’est pas le fait de mourir qui le gêne, mais celui de devoir pour ainsi dire sauter à pieds joints par-dessus les quarante ans qui auraient dû probablement le séparer de sa mort. Les lacaniens ne se sont d’ailleurs pas privés de voir dans le nom Meursault (qui n’était que Mersault à l’origine) un jeu de mots sur mort et saut. On ajoutera que, dès la première page, ledit Meursault, pour ne pas rater son bus, le rattrape en courant. Autre manière d’introduire une distorsion dans le Temps.

Mais, puisque nous parlons de temps, ajoutons que nous vivons en des… temps où la mode est de citer de manière inexacte. Dans La Tribune Dimanche, il y a une quinzaine de jours, on nous rappelait que Rastignac s’écriait « À nous deux Paris ! » à la fin du Père Goriot. Mais Rastignac s’écrie en fait : « À nous deux maintenant ! ». Maintenant ? Zut, encore un adverbe de temps !

FAL

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