R. J. Ellory, Une saison pour les ombres

Le romancier britannique R. J. Ellory, très prisé des Français, leur fait un petit cadeau. Les personnages de son dernier roman, une saison pour les ombres, portent en effet des noms d’origine française. Mais c’est le seul réconfort qu’on pourra tirer de cette histoire d’une grande noirceur, où l’âme se noie dans la froideur et la nuit.

« Le trou du cul du monde, mais gelé jusqu’à l’os. »

Une saison pour les ombres se déroule dans une petite ville minière du nord du Canada, créé de toute pièce par l’industrie. Jasperville. Hier espoir de milliers de travailleurs, aujourd’hui enfer de froid et d’ombres. Au loin, les monts Torngat, dont le sens littéral est « lieu du Diable » en Inuktitut, langue majoritairement parlé par les Inuits. Que voilà un joli cadre pour y faire grandir sa petite famille…

Jasperville est un enfer pour les vivants. L’hiver, la température atteint des -30 degrés. L’été, le soleil écrase et les moustiques dévorent les hommes. Entourées d’immenses forêts impénétrables, la ville est comme cerclée de sauvageries : des loups, des ours… Et une série de meurtres sanglants. Plusieurs jeunes femmes ont été retrouvées assassinées, sauvagement. Toutes les enquêtes au fil des décennies ont été rapidement closes, et aussi improbable que cela puisse sembler, toute la ville se renferme sur ses secrets.

Retour au pays

Rien que de penser à Jasperville lui nouait l’estomac. Pour quelqu’un qui ne connaît pas, il est difficile de comprendre comment un horizon aussi vaste peut devenir une telle prison.

C’est dans ce contexte que Jack Devereaux revient au pays. Il y est contraint parce que son petit frère est en prison, après avoir commis une agression. Le lecteur ne saura rien avant Jack lui-même sur la raison de cette violence, comme pour faire corps avec lui. Et ces lourds secrets seront une révélation lente, au fil des pages, comme une prise de conscience de la Faute initiale : il a quitté le pays et n’a pas tenu ses promesses.

Jack est un rescapé. Il a pensé vivre loin et à l’inverse de son univers (il est expert en incendie, ironie pour un homme habité par le froid…), mais il n’a pu se vider de cette présence : la ville l’habite. Et ses habitants vont revenir dans sa vie, un par un, pour le mettre violemment face à propres manquements. Fuir, c’est envisageable, mais se fuir soi-même, Jack Devereaux va apprendre que ce n’est pas possible.

Conçu comme un chemin à rebours, Une saison pour les ombres révèle peu à peu ses secrets, que les lecteurs découvrent en même temps que Jack s’effraie de les voir ressurgir. Plus que l’enquête elle-même, même si déjà elle prend aux tripes, c’est vraiment l’ambiance noire et oppressante de cette ville qui emporte le lecteur.

Loic Di Stefano

R. J. Ellory, Une saison pour les ombres, traduit de l’anglais par Étienne Gomez, Sonatine, janvier 2023, 408 pages, 25 euros

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