La joie dans les icis, poésies de Danielle Fournier
La poète Danielle Fournier vit entre le Québec et la France. Après Abandons (Tryptique, Montréal) et Celle qui ne craint pas la joie (Lemeac, Montréal), elle reprend dans son vingtième opus la même thématique dans Icis, je n’ai pas oublié le ciel (Les Lieux-Dits, Strasbourg).
Il s’agirait d’apprendre la joie dans la désolation
Il n’est plus de sol où se tenir, le monde dévasté, réduit à un « territoire aux frontières lourdes, aux portes blindées », l’Histoire est passée par là avec sa grande hache. Et pour se tenir, encore faudrait-il un moi qui tienne : « je ne sais pas d’où je suis issue » écrit Danielle Fournier ; et « nous ne reconnaissons plus l’humanité en nous ». Quant à l’amant, c’est un « maître sombre » « qui irait avec n’importe quelle femme, pourvu qu’elle ait la bouche ouverte, gémissante, une chatte encore serrée au mépris des passages ». On pourrait entonner une variation nervalienne : je suis la ténébreuse, la veuve, l’inconsolée ; la « désaccompagnée » dit-elle, « péniblement j’avance dessaisie dans le monde ».
Voilà un constat que nous serions nombreux à partager, si nous acceptions d’être lucides ; et donc cruels, tout d’abord vis à vis de nous-mêmes.
Et pourtant
« Aujourd’hui je suis icis » affirme-t-elle. Dans un « ici » pluriel. « à défaire les scénarios de la mort » : voilà une définition de l’acte d’écrire, la recherche, voire la construction d’une libération. Ainsi, l’âcreté des dénonciations, des protestations ne submergent jamais le bonheur d’écrire. Dans une langue simple, sensible et bien tenue. Le livre entier est comparé à un « jardin-poème », c’est un bouquet d’instants vécus parmi les rosiers, les coquelicots, qui ouvre sur le monde : « la terre ne meurt pas et n’appartient à Personne », ce rappel sonnant comme une révélation pour le lecteur. Quel que soient nos drames, le ciel reste immuable, il nous rappelle sa constance, voilà qui nous console. Il y a un au-delà de nos tribulations qui n’a rien de métaphysique, dont on ne pourra rien dire et qui pourtant nous fait signe. Il y a le vent, l’air, l’eau, le soleil, la lune, le fleuve, la forêt à vivre… En-deçà de tout langage, « les choses ont une âme », on peut seulement évoquer leur douceur.
De sa manière directe, on pourrait dire naïve et c’est tant mieux, Danielle Fournier nous livre une série de tableaux que pour ma part j’ai autant vus qu’entendus ; sans doute parce que sa parole est profondément incarnée. C’est sans doute cette façon de nous livrer des instantanés, comme autant d’images, qui donne à cette prose pourtant nourrie de réflexions, de jugements, son caractère poétique.
Ce livret est le quarante-sixième cahier de la collection du Loup bleu, chaque livraison étant ornée d’un dessin, ou d’une peinture réalisée par un artiste différent. Ici Marie Alloy nous offre un loup hurlant à la lune, en accord parfait avec le texte.
Mathias Lair
Danielle Fournier, Icis, je n’ai pas oublié le ciel, édition Les Lieux-Dits, « collection des Cahiers du Loup bleu », octobre 2022, 40 pages, 7 euros