La grande gaîté, salut à Aragon

Le poète du XXe siècle

Difficile de présenter Louis Aragon, décédé en 1982, auteur de romans exceptionnels (citons Aurélien ou La Semaine sainte) et bien sûr poète. Il fut un temps pas si lointain où les jeunes récitaient par cœur Les Yeux d’Elsa ou Le Roman inachevé pour se séduire. Aujourd’hui Aragon est retombé dans un demi-oubli, surtout connu pour les chansons tirées de ses poèmes par Jean Ferrat et Léo Ferré. Son engagement communiste a peut-être jeté aussi un voile sur l’écrivain… Les éditions Gallimard ont réédité en avril dernier La Grande gaîté, un recueil paru en 1929. Peu connu, on va vite voir qu’Aragon décoiffait ! 

Il y a ceux qui bandent

Il y a ceux qui ne bandent pas

Généralement je me range

Dans la seconde catégorie

Amour défuntes 

Ainsi, en lisant de ces poèmes de jeunesse, on découvre un Aragon hanté par le sexe et l’amour, à la manière d’un Gainsbourg ! Il faut ici revenir sur les circonstances de l’élaboration du recueil, bien expliqué par Aragon lui-même dans la postface Tout ne finit pas par des chansons. Aragon est à l’époque l’amant de Nancy Cunard, riche héritière anglaise qui exerce sur lui une emprise totale.

Or Aragon n’est pas le seul, Nancy multiplie les conquêtes et il le sait. Littéralement fou d’elle, il écrit et écrit… Mais finit par brûler un de ses manuscrits, La Défense de l’infini. Il tente même de se suicider. La passion amoureuse, amis lecteurs, peut tuer. 

Mais le plus beau moment ce fut lorsqu’entre

Ses jambes de fer écartées

La Tour Eiffel fit voir un sexe féminin

Qu’on ne lui soupçonnait guère  

Aragon, lors de la publication du recueil, a déjà rencontré sa muse, Elsa, celle qui lui donnera un foyer et une cause, le communisme. La Grande gaîté est un exorcisme de la passion amoureuse et sexuelle, celle qui lui fait écrire « tout est faux y compris l’amour. Il faut avoir vécu cette brûlure pour comprendre pourquoi Aragon écrit ces mots, envoyés comme ça à la gueule du lecteur. C’est salé, âpre, émouvant aussi. 

Pour finir… Et puis non 

Car on n’en finira pas avec Aragon, l’homme du mentir-vrai. Il a écrit des horreurs en chantant la gloire du Guépéou qui massacrait en veux-tu en voilà en Russie. On a oublié sa sourde révolte, trop tardive sans doute, lors de l’entrée des chars à Prague en 1968. On sait qu’il aima les femmes, puis les hommes, qu’il eut quelques séances de « gymnastique très particulière » avec Drieu La Rochelle qui lui inspira en partie le personnage d’Aurélien. Et alors ? L’homme est habité par ses mots, qu’il nous a donnés.

Merde à tout ce qui prend au baiser que je donne

Un écho de mon cœur pour rire et pour chanter

Merde à celle qui lit dans mes yeux

Car on doit se rappeler Aragon, l’homme d’Elsa et aussi de Nancy (« Nane »), le surréaliste et le communiste, le pédé magnifique des années 70. On en finira définitivement jamais avec Aragon, chère lectrice à qui je dédie ces lignes.

Sylvain Bonnet 

Louis Aragon, La Grande gaîté, suivi de Tout ne finit pas par des chansons, préface de Marie-Thérèse Eychart, Gallimard, avril 2019, 144 pages, 7 eur

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