Derrière les lignes ennemies, Manchette est toujours parmi nous
Manchette bouge encore
Jean-Patrick Manchette, mort en 1995, a marqué le polar français, peut-être malgré lui quand on garde en mémoire certaines de ses déclarations. Ses romans sont en tout cas réédités et toujours lus, ce qui n’est pas le cas de certains de ses pairs (et c’est injuste concernant Pierre Siniac). Les éditions de la Table Ronde avaient fait paraître en 2020 deux recueils, l’un, Play it Again Dupont !, rassemblant ses chroniques sur le jeu, tandis que l’autre, Lettres du mauvais temps, rassemblait des échantillons de sa correspondance. Derrière les lignes ennemies rassemble des entretiens accordés par l’auteur de La position du tireur couché entre 1973 et 1993.
Le parcours d’un enfant du vingtième siècle
Enfant du gauchisme, ex-militant PSU, Manchette a dans les années 60 effectué des tas de petits boulots entre enseignement et cinéma avant de se lancer dans l’écriture du polar. Il a été marqué par le situationnisme de Guy Debord et entretient une relation méfiante avec la presse et le journalisme. Ce qui ne l’empêche pas d’être un partenaire d’entretien souvent drôle, pertinent. Il raconte son fard son itinéraire, développe certains points de vue, parfois contestable mais toujours appuyé sur une solide érudition. Et puis il a l’art de la formule, par exemple quand il parle de Mocky :
« Pour Folle à tuer, j’ai travaillé avec Mocky, avant que Boisset soit finalement choisi comme réalisateur. Il n’y a rien à en dire, sinon que Mocky est laid, stupide, et devrait utiliser un déodorant corporel, et se faire les ongles. »
Ou son jugement page 145 sur le terrorisme :
« Actuellement, le terroriste qui croit faire avancer sa cause va su suicide comme le lapin au civet. »
Un auteur qui réfléchit (c’est rare, ma bonne dame!)
À côté de ces saillies, Manchette est aussi un excellent connaisseur du roman noir et du cinéma, qu’il raconte dans ses entretiens, en même temps que sa vie. On regrette son décès en 1995 et qu’il n’ait pu écrire le cycle des gens du mauvais temps ouvert par La princesse du sang. Lisez Manchette et pleurez braves gens, tant que vous le pouvez encore.
Sylvain Bonnet
Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemies, entretiens 1973-1993, préface de Jacques Faule, édition établie par Nicolas Le Flahec, La table ronde, mars 2023, 304 pages, 24 euros