incognita incognita, ou le plaisir de trouver ce qu’on ne cherchait pas


Partant de la parabole étonnante de Donald Rumsfeld, Mark Forsyth propose le plus enthousiasmant des petits essais littéraires qui soient. S’il y a en effet les choses que l’on connaît et celle que l’on sait ne pas connaître, tout l’intérêt des rencontres fortuites réside dans l’immensité non-découverte de ce qu’on ne sait pas ne pas savoir, terre doublement inconnu que cette terra incognita incognita.

Et si se perdre était le meilleur chemin pour se trouver ?

Eloge du vagabondage, des rencontres, de l’attention portée aux signes qui nous pousse de ci de là, Incognita incognita est d’abord un éloge des Bonnes Librairies, entendez ces petites officines de la culture qui placent judicieusement, à votre portée, ces livres qui vous deviendront vite indispensables. Loin des best-sellers, ou des supermarchés du livres, ces petits endroits recelant tout ce qu’il faut pour nourrir un parfait lecteur et surtout ces choses qui vont être feuilletées, découvertes, puis devenir siennes parce que le hasard les aura mis sur notre route.

Il est préférable de se perdre dans un dictionnaire que d’aller chercher le sens d’un mot qu’on connait (puisque c’est lui qu’on cherche) sur Internet, fausse immensité du savoir qui n’est utile que pour les services proposés ou l’immédiateté (récusable dans son intérêt même) de la réponse apportée —, car dans un dictionnaire il y a les mots alentour que l’on peut découvrir aussi, les mots qui existent comme révélateurs de notre inculture. Mais qu’il est bon d’être sot, d’avoir encore toutes ces choses à apprendre !

Le message est que nous ne “savons” pas. Il y a des choses que nous savons savoir. D’autres que nous savons ne pas savoir. C’est-à-dire que nous savons ne pas savoir pour le moment. Mais il y a aussi des choses que nous ne savons pas ne pas savoir. Des choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. »

Et le livre peut aussi être emprunté à un ami, servir de base à la bibliomancie, éprouver à lui-seul l’immense puissance du hasard, quand un petit livre à l’aspect anodin se révélera à vous dans un lieu inattendu et sera votre plus belle lecture. Ce hasard qui est la source de l’amour, qui conduit Juliette vers Roméo quand un site de rencontre les aurait rendus incompatibles ! Ce hasard qui fait les hommes.

Incognita incognita est un vrai délice, un bonheur d’intelligence, un guide spirituel pour qui veut — comme tout lecteur le devrait — avancer dans le noir de l’inconnu non connu en allumant quelques flambeaux au hasard de la rencontre d’une Bonne Librairie. Un manifeste pour le livre papier et contre la numérisation à tout va. Une pure merveille. Indispensable !

Loïc Di Stefano

Mark Forsyth, incognita incognita, ou le plaisir de trouver ce qu’on ne cherchait pas, traduit de l’anglais par Marie-Noëlle Rio, préface de Paul Vacca, Editions du Sonneur, avril 2019, 47 pages, 5,50 eur

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