Allons-nous sortir de l’histoire? Jacques Julliard et l’Europe

Le penseur de la Deuxième gauche

De Jacques Julliard, le moins que l’on puisse dire est qu’il a un parcours étonnant. Ancien de l’UNEF, il est normalien et agrégé d’histoire. Militant anticolonialiste et bon représentant du courant des catholiques de gauche, Julliard rejoint la CFDT, où il devient un proche d’Edmond Maire, futur patron de la centrale syndicale tout en manifestant un vif intérêt pour la « deuxième gauche », « courant girondin » et décentralisateur dont Michel Rocard est le champion. Parallèlement, il devient éditorialiste au Nouvel Observateur où il est un des soutiens les plus critiques de François Mitterrand. Quoiqu’ayant participé à la fondation Saint Simon, Julliard est un de ceux qui perçoivent très vite le décrochage des partis de gauche vis-à-vis du peuple. En désaccord avec la ligne de la fondation Terra Nova, défendue par le Nouvel Observateur et préconisant au PS de rallier en priorité les bobos et les suffrages des descendants d’immigrés et des immigrés et négligeant ainsi l’ancienne classe ouvrière, il passe à Marianne et au Figaro. Le voici qui publie ces jours-ci Allons-nous sortir de l’histoire, recueil de ses articles destinés au Figaro.

Un indépendant de gauche

Julliard est avant tout un intellectuel exigeant et fidèle à son camp. Exigeant quand il dénonce la dérive populiste et gauchiste de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement de la France Insoumise, jamais en retard de proclamations emphatiques et stériles. Fidèle aussi à son camp, celui de la social-démocratie, terme qui fut longtemps une insulte en France. C’est dommage car l’action sociale-démocrate a été au fondement de nombres de percées sociales en France, parfois en liaison avec des mouvements chrétiens d’ailleurs.

Fidèle mais toujours lucide, Julliard observe Macron au pouvoir, tour-à-tour indulgent et sévère. On se doit de dire ici qu’on est personnellement sévère sur la politique économique de l’actuel résident de l’Elysée, pas assez « sociale ». Mais « l’économisme » en politique, comme le dit notre éditorialiste, n’est pas tout.

L’Europe avec qui ?

A la lecture de cet ouvrage, lucide quant aux faiblesses françaises ou sur la montée des périls extérieurs (par exemple sur la politique extérieure de Trump ou la montée de la Chine) on relève une idée récurrente de Jacques Julliard : fortifier l’UE en renforçant le couple franco-allemand. D’où souvent des propositions de notre éditorialiste appelant à aller plus loin dans le sens d’une « union renforcée à deux ». On peut comprendre chez un homme de sa génération l’attachement à la réconciliation franco-allemande. Pour autant, dans une union il faut être deux. Or l’Allemagne actuelle n’est pas, loin s’en faut, réceptive aux propositions françaises. Dans le passé, rappelons-le, c’était le contraire.

Or, il faut incriminer ici « l’économisme » justement : les excédents du commerce allemand se font avec les USA et la Chine. L’UE ne les intéresse que pour délocaliser certaines usines au sein de la Mitteleuropa afin de profiter du faible coût du travail de la main d’oeuvre locale. Outre-Rhin, la France est perçue comme l’homme malade de l’Europe: les dix milliards débloqués par Macron pour apaiser les gilets jaunes renforcent d’ailleurs leurs inquiétudes quant à nos déficits… Sur le plan politique, relevons aussi que des hauts responsables de la CDU, le parti de la chancelière, réclame le transfert définitif du parlement européen à Bruxelles ou l’attribution du siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU à l’UE. On comprend donc que pour beaucoup de politiques allemands, il n’est pas question d’une union avec la France sur des bases égalitaires, loin s’en faut…

Si Jacques Julliard en est parfois conscient, on a aussi l’impression que son désir de croire à cette union franco-allemande renforcée l’empêche de voir ou d’accepter certaines réalités. Toutefois, ce livre est à lire car Julliard aide incontestablement son lecteur à réfléchir, même contre lui.

Sylvain Bonnet

Jacques Julliard, Allons-nous sortir de l’histoire ?, Flammarion, mars 2019, 336 pages, 19 eur

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