Jean Jaurès, itinéraire d’un tribun
Un spécialiste des gauches françaises
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Caen, Jean-Numa Ducange est un spécialiste de l’histoire des gauches en France et en Europe. On lui doit ainsi un ouvrage passionnant, Quand la gauche pensait la nation (Fayard, 2021), revenant sur l’histoire des socialistes jusqu’à la Grande guerre. Cette biographie de Jean Jaurès, un des pères fondateurs du socialisme français, en est quelque part la suite logique.
De la République au socialisme

La vie de Jean Jaurès est passionnante. Voilà un homme issu de l’Occitanie (il en parlait la langue) qui réussit à entrer à Normale et à devenir député à 26 ans : un pur produit de la méritocratie républicaine, dans ce qu’elle pouvait avoir de meilleur à la fin des années 1880. Il est alors un républicain, ancré dans la mouvance opportuniste, éloigné des radicaux de Clemenceau. Puis il se rapproche des socialistes à cause des luttes ouvrières et finit par rallier leur mouvance, lisant Marx et Engels, sans jamais renier la République. Jaurès, d’abord ancré dans certains préjugés antisémites, finit par devenir un des plus ardents défenseurs de Dreyfus au point de défendre l’entrée du camarade Millerand dans le ministère Waldeck-Rousseau. Grand orateur applaudi par les foules, Jaurès aura toujours beaucoup de mal à se faire accepter des plus « purs », l’accusation de « ministérialisme » lui collera jusqu’au bout à la peau, lui qui ne fut jamais ministre… Voici aussi un homme qui chemine, en vient à défendre les femmes en politique où à (timidement) remettre en cause le système colonial. Sans compter son engagement laïc.
Un socialiste français et européen
On ne résumera pas ici cette biographie de référence, nourrie d’archives publiques et privées (notre historien en a déniché de nouvelles). On se permettra d’insister sur deux points. Tout d’abord, cet homme de gauche fut toujours patriote, réfléchissant aux meilleurs moyens de défendre la patrie et d’organiser l’armée : ce fut le sens de son essai L’armée nouvelle, injustement brocardé mais inspiré par des militaires républicains (dont le colonel Mayer, futur ami du général de Gaulle). Il fut aussi un socialiste européen, un germanophone croisant le fer avec Rosa Luxembourg qu’il respectait beaucoup ou August Bebel du SPD. Assassiné juste avant le déclenchement des hostilités, Jaurès fut statufié avant même d’entrer au Panthéon : cette biographie lui rend son humanité, ses contradictions, sa vérité aussi.
Sylvain Bonnet
Jean-Numa Ducange, Jean Jaurès, Perrin, septembre 2024, 464 pages, 25 euros