Dictionnaire de l’argot des typographes

Le Dictionnaire de l’argot des typographes d’Eugène Boutmy est un classique à plus d’un titre. Le métier de typographe, aujourd’hui disparu, donnait ses lettres de noblesse à l’édition. Et Eugène Boutmy était l’un d’eux, maniant les plombs des cassetins comme personne, mais surtout connaissant parfaitement l’argot de son métier. Car une confrérie des typographes s’était établie, et on n’y entrait pas sans montrer qu’on en était ! Il n’y a plus — ou presque ! citons l’admirable travail du maître typographe Christian Laucou — d’imprimeur au plomb aujourd’hui. L’informatique est venu lisser cet art et, par le fait, isoler les professionnels. L’écran a remplacé la grande salle et le langage propre a disparu.

L’argot d’un temps passé

Si les termes de casse, de coquille ou de justification sont entrés dans le langage de tout infographiste metteur en page, d’autres ont disparu. Soit parce que l’objet lui-même n’est pas utilisé (comme un cassetin), soit par absence d’usage, « modernité », « Progrès »…

Avant l’informatisation des procédures, la typographie était un travail manuel. Il fallait être habile et savant, un artisanat d’un caste supérieure. Et pour se distinguer, rien de mieux qu’un langage propre. Si l’argot, à la base, est la langue inventée par les Apaches (voyous et truands du début du XXe siècle) pour discuter à l’abri des oreilles policières, certaines professions ont créé le leur propre, comme le louchébem des bouchers et bien sûr l’argot des typo !

Augmenté d’une histoire des typographes au XIXe siècle et d’un choix de coquilles célèbres

Le très beau témoignage d’Eugène Boutmy dans son Dictionnaire de l’argot des typographes est aussi complet que possible.

D’abord, il y a un long historique de la profession. C’est un texte important parce qu’il donne ses lettres de noblesse à un artisanat d’art. Boutmy commence par faire l’historique de la profession, et l’ensemble des fonctions, ainsi que leurs évolutions avec le développement des techniques et des industries. Il liste en outre les différents métiers qui complètent les tâches quotidiennes des typographes. Attention, ne pas confondre avec l’imprimeur, c’est un point sur lequel Boutmy insiste fort, même si leur développement est conjoint.

Ne sont pas typographes tous les ouvriers employés dans une imprimerie : celui seul qui lève la lettre, celui qui met en pages, qui impose, qui exécute les corrections, en un mot qui manipule le caractère, est un typographe ; les autres sont les imprimeurs ou pressiers, les conducteurs de machines, les margeurs, les receveurs, les clicheurs, etc. Le correcteur lui-même n’est typographe que s’il sait composer, et cela est si vrai que la Société typographique ne l’admet dans son sein que comme compositeur, et non en qualité de correcteur.

Ensuite, il y a le dictionnaire en lui-même. On y trouve des expressions imagées (avoir une araignées dans le coloquinte = avoir le cerveau fêlé ; chier dans le cassetins aux apostrophes = quitter le métier de typographe). Des verbes sonnant dont l’usage pourrait être remis au goût du jour avec bonheur (gourgousser = se répandre en jérémiades ; piauler = mentir). Des expressions passées dans le langage commun (kif-kif, casser sa pipe, chercher la petite bête). Les typo aiment bien aussi tirer la pelote d’un mot, comme à partir de sarrasin (ouvrier « compositeur qui ne fait pas partie de la société typographique. Cette expression vient sans doute de ce que les Sarrasins sont des infidèles ») ils forment sarrasinage, sarrasiner…

Enfin, deux petites pépites. « Coquilles célèbres ou curieuses » rappelle un peu les Perle de la littérature de Dominique Jacob. Mais c’est un peu moins drôle parce qu’un peu moins énorme. Et « Âneries » qui veut montrer les vraies fautes nées de l’ignorance, mais qui est, malheureusement, un peu daté.

Le Dictionnaire de l’argot des typographes prendra place à portée de main de tous ceux qui s’intéressent au beau métier que fut celui des typographes. Mais aussi à la typographie au sens large.

Loïc Di Stefano

Eugène Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, Le Mot et le reste, novembre 2019, 152 pages, 15 eur

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