La solitude Caravage Yannick Haenel
Yannick Haenel est tombé amoureux du Caravage à l’âge de quinze ans, et trente-cinq ans après, ce peintre exerce toujours sur lui une sorte de fascination. C’est de cette fascination qu’il nous parle dans son livre La solitude Caravage, qui a obtenu le Prix Méditerranée en 2019.
un peintre de génie
Le Caravage a vécu à la charnière de deux siècles, avant et après 1600, et eut une vie aventureuse, voire licencieuse. Peintre de génie, certes, mais bagarreur, amateur de femmes autant que de garçons, volontiers provocateur, proscrit après un meurtre, il erra de Milan à Florence puis à Rome, à Naples, à Malte, à Messine, à Palerme, recherché par les autorités, mais protégé par des grandes familles italiennes qui admiraient ses tableaux.
Yannick Haenel est visiblement semblable à ces mécènes de jadis, et sa première rencontre avec l’artiste se fait avec la belle Judith, peinte par Caravage en train de décapiter Holopherne, toile fort célèbre. Vient ensuite « La décollation de saint Jean Baptiste », nouvelle illustration du crime, du sang, de la mort. A partir de ces deux toiles terribles, et de dizaines d’autres qu’il a étudiées, l’auteur nous livre une passionnante analyse des tableaux du Caravage, habités de madones autant que de gitons, d’apôtres autant que de prostituées.
Dans cette œuvre noircie par une vie de débauché, Yannick Haenel exprime bien « la prise de pouvoir des bourreaux sur le visible », belle formule qui résume beaucoup de choses, et qui se poursuit ainsi : « Le génie du Caravage donne à voir cette invasion du mal comme un tournant historique, comme si le sac de Rome ne finissait plus ». Passionné par son sujet, il dissèque plusieurs œuvres, en regard avec leur époque, la puissance de l’Eglise et de Vatican, l’importance des sujets religieux en Italie des XVIe et XVIIe siècles, alors même que la pègre s’y répand, avec son cortège de drames, de noirceur, de vices.
une vue tumultueuse
Parallèlement, Yannick Haenel n’élude pas le fait majeur, qui fait du Caravage le maitre historique du clair-obscur, travaillant dans un atelier sombre, éclairé par les chandelles dont il disposait la place et l’éclairage en fonction de sa peinture. Tout se passe comme si, du point de vue technique, il y avait un avant et un après Caravage, ce qui fut souvent noté par les biographes de l’artiste. Cela lui valut une grande célébrité de son vivant, malgré ses turpitudes, et sa condamnation à mort… à laquelle il échappa habilement, trouvant une réhabilitation provisoire sous le costume d’un Chevalier de Malte, très inattendu.
Enfin, autant que pour son œuvre, Yannick Haenel raconte aussi ce qui l’on sait de sa vie errante et tumultueuse. Caravage connut la prison, dont il s’évada comme Casanova de Venise, mais ne cessa jamais de peindre, que ce soit sous l’effet de diverses commandes pour des palais ou des églises, ou pour exorciser une conscience peuplée de cauchemars. Il mourut de septicémie en 1610, le corps couvert de cicatrices, après des dizaines de bagarres, et autant de chefs d’œuvre. Rendons grâce à Yannick Haenel d’avoir eu les mots et le souffle nécessaires, pour nous faire vibrer avec lui.
Didier Ters
Yannick Haenel, La Solitude Caravage, Gallimard, « Folio », septembre 2020, 320 pages, 8,50 eur