La BD « Alix » dans Le Figaro Magazine : Navet, Caesar… ?

Où l’on voit le Gaulois Alix désemparé face à certaines subtilités de la langue française.

Canicule oblige, Le Figaro Magazine offre chaque semaine à ses lecteurs un cahier intitulé « Les loisirs de l’été », composé de différents questionnaires culturels et d’une demi-douzaine de planches de Veni, vidi, vici, le prochain Alix, publié donc en avant-première et en feuilleton. On pourra s’étonner qu’il ait été annoncé à grand fracas comme la première résurrection d’Alix depuis la mort de Jacques Martin il y a sept ans, alors que l’œuvre de celui-ci a déjà été prolongée par différents dessinateurs et scénaristes, mais ce n’est pas la question qui nous retient aujourd’hui.

Ce qui profondément nous étonne, c’est que ce cahier puisse inclure des questionnaires sur la langue française ‒ chose en soi éminemment louable ‒ et, dans les bulles de Veni, des fautes d’orthographe et de syntaxe déjà trop nombreuses ‒ au bout de trois livraisons seulement ‒ pour être toutes citées ici. On ne chipotera pas sur le mauvais usage des traits d’union et des apostrophes dans « y-a-t’il ? », qui devrait s’écrire « y a-t-il ? » ou sur l’absence de É majuscule à État dans « crime contre l’état ». En revanche, on ne peut réfréner un sursaut quand on voit une protestation orthographiée « Ha non » ‒ « Ah non » serait-il trop ânonnant ? ‒ ou quand le vertueux Alix, se portant au secours d’une malheureuse, crie aux vilains qui la malmènent « Laissez-là ! » et, plus loin, « Lâchez-là ! » On aimerait croire que les accents sur les deux la sont des accents de compassion, mais ne serait-ce pas pécher par optimisme ? 

Mais passons au plat de résistance, ou plus exactement à deux erreurs qui, pour être largement répandues, n’en sont pas moins coupables. La première touche à l’accord du participe passé. « Sa bibliothèque remplacera celle d’Alexandrie qu’il a faite incendier. » Faite, avec un -e ? Comment peut-on parler de bibliothèque et se parer ainsi d’une fausse élégance ? La règle est pourtant simple : on accorde le participe passé avec le complément d’objet direct quand celui-ci est placé avant. Mais celui-ci doit être comme la vérité : tout le COD, rien que le COD. Or, il a fait quoi, le pyromane évoqué dans notre phrase ? Il n’a pas fait [la bibliothèque d’Alexandrie], il a fait [incendier la bibliothèque d’Alexandrie]. Autrement dit, il a causé l’incendie de la bibliothèque. Si dans notre phrase la bibliothèque arrive avant le participe passé du verbe faire, l’incendie n’arrive qu’après. Donc, mon cher Watson : « Sa bibliothèque remplacera celle d’Alexandrie qu’il a fait incendier. » (1)

 

 

L’autre erreur a trait au flou artistique qui est devenu la caractéristique d’une certaine pensée contemporaine. Terrible, mais en l’occurrence quelque peu bredouille, le méchant Arbacès lance à Alix : « Alix, j’aurais ta tête une autre fois, tu peux y compter. » Tu peux y compter ? Comment peut-on compter sur quoi que ce soit quand la promesse qui vient d’être faite a été faite au conditionnel ‒ j’aurais ? Est-il si difficile de remplacer je par nous, comme on conseillait de le faire à l’école primaire ? Croit-on vraiment qu’on peut impressionner un adversaire en disant, voire en hurlant : « Nous aurions ta tête la prochaine fois » ? Quittez donc cette constellation aurions pour un futur franc et massif : « Nous aurons ta tête la prochaine fois. » Allez, Arbacès, un petit effort, un peu de courage : « Alix, j’aurai ta tête une autre fois. »

Si certains lecteurs trouvent que nous coupons les cheveux en quatre, c’est bien sûr leur droit. À condition qu’ils n’écrivent pas « en quatres », comme on le fait dans cet Alix. Espérons que tout cela aura été revi et correctionné quand sortira l’album.

 

FAL

(1) Si l’on veut être précis, cette règle souffre une exception, destinée à lever une ambiguïté. On écrit : « les fruits que j’ai vu cueillir », mais « les fruits que j’ai vus mûrir ». Dans le premier cas, les fruits sont COD de cueillir ‒ il faut quelqu’un pour les cueillir ; dans le second, ils sont sujet de l’infinitif ‒ ce sont eux qui mûrissent ‒, ce qui leur vaut le privilège du participe vus au pluriel.

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