Le dictionnaire de ma vie de M’sieur Eddy
Eddy Mitchell aime écrire.
Il a déjà fourbi quelques livres et son goût pour la chose écrite se ressent dans ce dernier opus, Le Dictionnaire de ma vie, dans lequel il conjugue l’alphabet à sa manière.
Tout en parlant des autres, il s’y raconte et donne quelques coups de griffes (contre les militaires et un certain général deux étoiles). Il multiplie aussi les coups de cœur envers ses amis de longue date (Johnny Hallyday et Jacques Dutronc) et ses innombrables potes.
Il le fait avec son style débonnaire qui donne l’impression de ne jamais rien prendre au sérieux, même si son regard d’aigle ne loupe rien.
Bien entendu, quand tout Eddy il reste le cinéma.
Le père Moine (son vrai blase) est un fervent, un ardu, un accro. La péloche coula dans sa moelle épinière dès son plus jeune âge et aujourd’hui encore il continue de se gaver de Blu-Ray et autres bazars à images animées dès qu’il en a l’occasion.
Cette dépendance, il la raconte avec nonchalante, mettant tout sur le dos de son père, ou de son frère ou de la prolifération de salles autour du modeste appartement familial de Belleville. Mais le môme n’a jamais eu besoin de prétexte pour s’enfermer dans une salle obscure. Après que sa mère en ait eu marre de le traîner au Châtelet pour des opérettes d’un autre monde, elle l’a laissé errer du côté des grandes plaines de Far West et des ruelles sombres du film noir. Hollywood le voilà !
Eddy s’est forgé une culture et s’est barricadé derrière ses infaillibles favoris. Car un monsieur qui place aux sommets à la fois Frank Sinatra, La Horde sauvage (du redoutable Sam) et Louis-Ferdinand Céline mérite plus que le respect. Quasi des offrandes ou des sacrifices en guise de vénération… Quand d’autres joueraient les précieuses ridicules en avançant Robert Bresson, L’Enfant sauvage (de l’abbé François) et Max du Veuzit, lui n’a pas honte de ses goûts populaires. Tant mieux. On a les mêmes.
La Dernière séance
Donc le cinéma est très présent dans cet ouvrage de bonne facture, comme on dit dans les cercles comptables. Eddy parle des films qu’il a vus, aimés, adorés. En cela il rappelle qu’il fut l’un des créateurs et le présentateur de la mythique Dernière séance (qui a droit à tout un chapitre). Ceux qui n’ont pas connu sont priés d’aller jouer aux billes et de continuer à vénérer Thor, Strange et toute la clique. La Dernière séance c’était réservé à ceux qui aimaient le cinoche. Pas les atteints de cinéphilie aigue mais les autres, tous les autres. On en a bouffé des films en vf et en vo. Des westerns sortis du fond de la malle aux souvenirs, des polars à en avoir des frissons. Le tout précédé par une foule d’informations qui coulaient si vite qu’on n’y comprenait pas tout. Merci Eddy pour ces moments.
Il évoque aussi certaines de ses « grandes rencontres » dont Lancaster, Mitchum, Douglas… Rien de moins !
N’oublions pas qu’il fut aussi acteur. Ça, il en parle moins. Par pudeur ou modestie ? Il pourrait pourtant s’étendre (ou se ramasser) sur ce chef d’œuvre qu’est Frankenstein 90, sur ce magnifique hommage au western qu’est Big City ou sur cette totale réussite qu’est L’Oncle Charles. Je me souviens de la présentation presse de ces deux derniers : on frisait le grandiose !
Ceci dit, j’ai interviewé l’homme de l’art à diverse reprises et pris plaisir à bavarder cinéma avec lui. Balancez-lui n’importe quelle référence, il répond du tac au tac.
Mais ne retournons pas le couteau dans l’appelé, comme on disait dans les casernes et profitons de ce livre à la fois léger et profond. De Belleville à Nashville on prend un ticket en compagnie d’un champion qui n’engendre jamais la morosité.
Cette vie qu’Eddy Mitchell a réduite à l’état de dictionnaire, on aurait tous aimé l’avoir — en tout ou partie. Pour ses innombrables rencontres et ces moments de désinvolture. Chapeau Eddy. Ou plutôt Stetson Mitchell.
Philippe Durant
Eddy Mitchell, Dictionnaire de ma vie, Kero, octobre 2020, 216 pages, 17 eur