Okuribi, renvoyer les morts, le beau roman initiatique d’Hiroki Takahashi

Le jeune Ayumu suit les déménagements familiaux imposés par le travail du père. Au-delà des montagnes, dans le nord quasi fantasmé, il découvre sa nouvelle école, ses nouveaux camarades. Et les traditions locales. Le personnage attachant créé par Hiroki Takahashi dans Okuribi, renvoyer les morts va servir de spectateur à une métamorphose aussi froide que cruelle.

L’adolescence comme lieu de la transformation

Okuribi, renvoyer les morts est le roman d’une adolescence qui se cherche. Que ce soit celle d’Ayumu, en rupture avec sa nouvelle société (il vient de la capitale et se retrouve à la campagne), ou celle d’Akira, le meneur des garçons locaux. Akira dirige mais comme un tyran, il impose les jeux, les récompenses et les punitions en se servant d’un jeu de carte. Il laisse le hasard… mais il triche pour que ce soit toujours Minoru, son souffre-douleur, qui perde. Et les autres sont observateurs et complices, selon les cas.

L’année va se dérouler, avec ses petits drames (Akira malmenant ou parfois protégeant Minoru) et l’année scolaire qui suit son cours. Peu à peu un sentiment étrange s’installe, comme si Akira ne souffrait nul partage de ses droits. Ayumu l’estime et s’en méfie également, pour ce qu’il est (un adolescent en train de devenir un homme) et pour ce qu’il fait. C’est l’apprentissage de la dure et âpre loi du plus fort. C’est l’amitié virile mais reste cette étrangeté d’Akira, comme mu par autre chose, de plus grand que lui et qui conduira le groupe bien au-delà des limites prévues.

La mort comme fin, comme commencement, comme un tout

Gozan no Okuribi (littéralement « feux pour guider les âmes depuis les cinq montagnes ») est un moment important dans les traditions japonaises, qui marque la fin de la fête des morts, Obon. Les morts étant venus visiter les hommes, ils doivent repartir, et les feux les guident. C’est un moment d’union rare entre les mondes.

Que les adolescents soient cinq avant l’arrivée d’Ayumu et forme une société ancrée dans la tradition laisse à penser qu’il sera le spectateur d’une transformation. Et s’il était le guide vers la mort, malgré lui ? Car il reste étranger, malgré tout, à ce monde violent qu’est la société des adolescents.

L’écriture d’Hiroki Takahashi est magnifique, portant à la fois une légèreté et une pesanteur, une maîtrise du suggéré et une force dans l’apparente simplicité. La fin du roman est une apothéose de symboles et de puissance romanesque. Le monde de cette province isolée, comme l’image figée d’une tradition, est un sommet de poésie et d’étrangeté. Ayumu est le guide, le lecteur est perdu et chahuté avec lui. Okuribi, renvoyer les morts est un magnifique voyage.

Loïc Di Stefano

Hiroki Takahashi, Okuribi, renvoyer les morts, traduit du japonais par Miyako Slocombe, Belfond, octobre 2020, 123 pages, 20 eur

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