Lettre volée, à propos du P de dompteur

Faute pardonnable, pourra-t-on dire, puisque ceux qui la commettent croient bien faire.

Pardonnable, mais peut-être, de ce fait, d’autant plus insupportable.

Ceux qui croient bien faire, ce sont ceux qui font entendre le p lorsqu’ils prononcent le nom dompteur ou le verbe dompter. « Dom-pe-teur », « dom-pe-ter ». Or ce p est une aberration. Que l’on ne trouve pas, par exemple, en anglais, où indomptable se dit, très logiquement, indomitable.

Très logiquement parce qu’à la base, en latin, il y a très simplement la racine dom-, sans le moindre -p, celle qu’on trouve dans dominer, ou, plus simplement, dans Dom Juan (qui ne signifie pas autre chose que Maître Jean). Dompter vient de domitare, accentué un peu sur la première syllabe et beaucoup sur la troisième. Pressé entre les deux, mi a disparu. La bonne orthographe française (et la bonne prononciation) devrait donc être domter, ou, mieux encore, donter, comme conter.

Disons un mot de ce conter, justement. Lui vient de computare. Même affaire que domitare pour les accents toniques : la syllabe pu a été écrasée par celles qui l’encadraient et a fini par disparaître. Mais, comme conter avait deux sens, qui, à la vérité, n’en étaient qu’un, on décida de le dissocier en deux verbes différents : conter et, en s’inspirant du verbe latin, compter. Chez Molière encore, on conte ses sous exactement comme on conte une histoire. Dans les deux cas, au fond, l’opération est la même : on procède à une énumération. D’événements ? de chiffres ? Quelle importance ? Mais un jour on décréta qu’il fallait distinguer les deux, et l’on (re-)créa un compter pour le réserver aux calculs mathématiques.

On devine la suite. Domter a voulu à tout prix, et bêtement, ressembler à son camarade et a annexé son -p. Cela s’appelle en grammaire l’analogie. C’est par ce phénomène, que nous avons déjà évoqué ailleurs, que s’explique par exemple l’accent circonflexe sur nous fûmes, parfaitement gratuit, et dont la seule justification a été le désir de s’aligner sur vous fûtes (où l’accent, légitime, s’explique par la présence d’un -s dans le latin fuistis).

Si gratuite soit-elle, l’analogie est un phénomène reconnu qui explique un grand nombre d’aberrations en français. Alors, pourquoi protester contre celle-ci ? Mais parce qu’il s’agit en l’occurrence d’une double aberration ! Nous nous trouvons dans cette situation parfaitement ubuesque, qui est que personne ne prononce le -p de compter, alors même qu’il se justifie dans une large mesure par son étymologie, et que beaucoup s’appliquent à prononcer celui de dompter, parfaitement erroné !

Il y a là un coup de force qu’on ne saurait admettre. Mais peut-être faut-il dire « un coupe de force » ?

 

FAL

 

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