« Les Misérables » dans la version de Lewis Milestone (1952) enfin restaurée

Les Misérables, encore ? Oui, mais dans une version rare de 1952, réalisée par Lewis Milestone, avec le hiératique Michael Rennie (Le jour où la terre s’arrêta) dans le rôle de Jean Valjean et l’inquiétant Robert Newton (Barbe-Noire) dans celui de Javert. Le film vient de sortir en DVD/Blu-ray chez Rimini, dans une copie immaculée.

Chasse aux sorcières

Juif né en Russie, homme de gauche, adaptateur à l’écran du pacifiste Erich Maria Remarque (A l’ouest, rien de nouveau) et du progressiste Steinbeck (Des souris et des hommes), le cinéaste Lewis Milestone était une cible toute trouvée pour J. Edgar Hoover ! Dès 1945, Milestone fut d’ailleurs fiché par le FBI comme communiste notoire et bien sûr pointé du doigt en 1950 par la Commission des activités antiaméricaines (la HUAC), dirigée à Hollywood par les sénateurs républicains J. P. Thomas et John Mac Dowell.

Les Misérables signe donc la fin de la première période hollywoodienne de Milestone, avant son exil pour l’Europe. Ce monsieur, comme l’auteur de Napoléon le petit, n’aimait pas trop les atteintes à la Liberté. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur le Premier amendement que Milestone refusa de répondre aux accusations de la HUAC.

 

 

Combat

Darryl Zanuck, le patron de la Fox, politiquement démocrate, n’aimait guère lui non plus les sbires de McCarthy et l’on peut voir, dans le choix de Milestone pour réaliser cette nouvelle version des Misérables, à la fois une stratégie de producteur (Milestone ayant déjà triomphé dans les années trente avec ses films humanistes) et un acte militant : dans le contexte tendu de l’époque, il n’est pas déraisonnable de penser que Valjean symbolise le progressiste, l’homme de gauche injustement persécuté (Milestone, donc, dans une sorte d’autoportrait) et que Javert, lui, symbolise les agents de l’Etat hargneux, paranos et obsessionnels que sont Hoover, McCarthy et Mac Dowell ! D’autant plus troublante est la dernière scène, le fameux suicide de Javert : scène carrément prophétique quand on connaît la mort pathétique de McCarthy en 1957 et le suicide de McDowell la même année, tous deux se sentant, comme Javert, humiliés, « déshonorés ». C’est que le jusqu’auboutisme radical, l’intransigeance rigide, cachent toujours une fêlure personnelle…

 

 

Injustice

Certains ont pu reprocher au film sa brièveté (105 minutes), accusant la Fox de faire un « digest » du roman-fleuve de Hugo à l’usage du public populaire américain, jugé comme peu patient. Mais cette brièveté possède l’étonnante vertu de transformer le fleuve en torrent, l’épopée en tract cinglant : non pas tant un tract anti-misère comme on pourrait s’y attendre (ce qui décevra ceux qui ne jurent que par la fidélité à la lettre), mais un tract politique anti-autoritaire. Clair, net, sans fioritures. Interrogé dans le bonus du disque, grand connaisseur de Victor Hugo, notre collègue FAL le dit clairement : cette infidélité n’en est une qu’en apparence, puisque le combat contre un régime autoritaire a bien sûr été celui de l’écrivain pendant une grande partie de son existence. 

 

 

Miroir

Cet effet de « tract » est accentué par l’admirable économie de la forme :  format carré, noir et blanc tranché, sobre fluidité de la caméra du grand Joseph LaShelle, thème musical sec et effrayant d’Alex North… aussi sec et effrayant que ce tribunal qui condamne les innocents, que ce soit dans la France de 1830 ou dans son miroir déformé : l’Amérique de 1950.  

Avant de s’exiler, Milestone a quelque chose à dire en urgence au public américain. Et ce quelque chose, à savoir la différence entre la Légitimité (Valjean) et la Loi (Javert), il l’assène vite, fort et bien.

 

Claude Monnier 

DVD/Blu-ray Les Misérables (1952) de Lewis Milestone, avec Michael Rennie, Robert Newton, Debra Paget. Durée : 105 min. Noir et blanc. Format : 1.66. Supplément : Victor Hugo, Les Misérables et le cinéma par Frédéric Albert Lévy (42 min). 

Remerciements à Jean-Pierre Vasseur et à FAL.

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