Il est toujours difficile de chercher à éveiller la curiosité sur un genre réputé aussi inaccessible que la philosophie. Et dans notre société de la vitesse et du divertissement — qui pour Pascal était, conformément à l’étymologie, essentiellement se détourner de sa vraie raison de vivre —, inviter à penser par soi-même. Beaucoup essaient de populariser la pensée d’un auteur, de le mettre à la portée de tout lecteur en quelques pages ou à la plage, mais peu en s’intéressant aux idées transversales qui sont aussi bien des concepts philosophiques que des ancrages avec notre quotidien. C’est une gageure supplémentaire, et c’est pourtant ce que l’atypique Christopher Laquieze, écrivain, philosophe et influenceur très populaire, et Mathias Lebœuf, philosophe, journaliste et conférencier, ont entrepris avec la collection « Petits traités » lancée par les éditions Guy Trédaniel. C’est Mathias Leboeuf qui a accordé cet entretien à Boojum.
Entretien
La philosophie n’est pas seulement du jus de cerveau ou de la fumée de crâne. Elle doit réapprendre à parler à tout le monde.
Comment est née l’idée de la collection des petits traités ?
L’idée est venue d’une rencontre avec Guillaume Trédaniel et de la relation d’amitié qui s’est ensuite nouée. Nous avions ensemble des projets de livres et de développement notamment autour de la philosophie. Depuis très longtemps, je m’attache à promouvoir la philosophie auprès du plus grand nombre à travers des livres, des conférences, ou bien des ateliers. Guillaume Trédaniel souhaitait développer un peu plus ce champ de la philosophie grand public. Je lui ai proposé cette idée de collection des petits traités, car je pense qu’elle correspond à l’attente des lecteurs curieux de découvrir la philosophie : des textes courts, exigeants mais accessibles, surprenants et impertinents, ancrés dans le quotidien et le réel. C’est tout du moins notre ambition. La philosophie n’est pas seulement du jus de cerveau ou de la fumée de crâne. Elle doit réapprendre à parler à tout le monde.
Qu’est-ce qui va vous différencier des autres collections similaires ?
La première chose c’est qu’il n’y a pas de collections vraiment similaires. L’identité de la collection est assez originale. Chaque petit traité s’attache à investir une notion ou une valeur qui n’est pas indéfendable mais qui est rarement défendue. C’est pour cela que nous avons commencé avec un Petit traité de la mort et un Petit traité de la lenteur puis un Petit traité du silence. Et nous venons de publier un opus sur la vertu et un autre sur les idées. Nous sommes donc un peu à rebours du temps présent et des facilités contemporaines. D’autre part, nous tenons à ce que chaque petit traité soit très écrit, singulier, à l’image de son auteur dont on doit entendre « le grain de la voix » comme disait Roland Barthes. Cela donne des textes très incarnés, subjectifs, originaux… nous ne sommes pas des « Que sais-je ? ».
Des idées et de la vertu, de la lenteur et du silence, par delà la peur de la mort, c’est une éthique exigeante qui se dessine par petites touches à travers chacun de ces petits traités. Ils se répondent les uns les autres tout en étant très différents.
Comment s’est fait l’accueil chez Guy Trédaniel, éditeur plus connu pour ses publications sur la spiritualité ?
L’accueil s’est fait naturellement, et de façon très enthousiaste. Naturellement, parce que la philosophie est une discipline connexe au domaine de la spiritualité qui caractérise effectivement les éditions Guy Trédaniel. Mais cette collection est aussi une aventure humaine, tissée dans des relations d’amitié. Cet enthousiasme des éditions Trédaniel s’est notamment traduit par l’attention portée à la qualité de la fabrication des ouvrages. Car si les textes sont ciselés, chaque livre est aussi un bel objet très bien pensé (et fabriqué) dans le moindre détail : le papier, la typo, les rabats, la maquette…. Et nous sommes très content de cela, car les lecteurs nous parlent souvent du surcroit de plaisir de lecture que cela procure et de l’attachement à leur exemplaire.
L’esprit de la collection est de réinvestir des notions à rebours du temps présent d’une façon assez joyeuse
Pouvez-vous exprimer l’esprit de votre collection ?
L’esprit de la collection est de réinvestir des notions à rebours du temps présent d’une façon assez joyeuse. Ces petits traités sont constitués de plages de texte assez courtes qui peuvent se lire « à sauts et à gambade » comme le disait Montaigne à propos de ses Essais. Chaque sujet est traité de façon pointilliste, par petites touches. Le lecteur peut passer d’un chapitre à un autre librement en sautant certains passages pour y revenir ensuite. Ce n’est donc pas un discours théorique cadenassé que nous proposons, mais une pensée libre et ouverte, un cheminement, une déambulation intellectuelle destinée à amener à refléchir, à donner envie de penser, et in fine se faire sa propre idée.
Trois bonnes raisons de ne pas lire les Petits traités ?
Tout d’abord vouloir rester conforme à une époque qui préfère le bruit au silence, la rapidité à la lenteur, l’opinion aux idées, le vice à la vertu, le tout en ayant peur de la mort.
Ensuite, rester certain que la philosophie c’est dur et ennyeux et que ça ne sert à rien ! Enfin, préférer scroller des videos de chats, du chutes ou de tutos sur les réseaux sociaux. là, on ne peut pas lutter.
Acceptez-vous le terme de « vulgarisation » de la philosophie ?
Oui et non. Il ne s’agit pas à proprement parler de « vulgarisation » au sens de rendre des connaissances ou des théories complexes accessibles à un lecteur non spécialiste. Chaque Petit Traité développe une pensée originale, celle de son auteur. Il s’agit plutôt de « démocratisation » c’est-à-dire de retrouver un geste archaïque de la philosophie depuis sa naissance en Grèce au Ve siècle avant notre ère : celui de parler à tous et à chacun, avec autant d’exigence que de simplicité, autant de rigueur que de plaisir. Le lecteur ne nous à rien fait, pourquoi irions-nous l’ennuyer !
Comment la collection a-t-elle été accueillie ?
La collection a été très bien accueillie, tant par le public que par de la critique. Ce qui veut dire que les chiffres sont bons et que les retours de lecteurs sont enthousiastes. On peut mesurer ça à l’ambiance lorsque nous organisons des rencontres autour des petits traités, c’est toujours très fertile. Cela nous réjouit car c’était vraiment l’objectif de la collection : donner à penser. Nous allons donc continuer, avec deux prochaines un très belles livraison : un Petit traité de l’étranger écrit par Pedro Kadivar et un Petit traité de la tolérance par Rachida Kaaout.