Julien Thévès, Ils étaient de l’Est

L’ancrage régional et la nostalgie, celle d’une enfance et de ses racines, voilà le voyage que propose Julien Thèves dans Ils étaient de l’Est, qu’on lit comme on feuillette un album de famille, avec une nostalgie douce et souriante. Ceux qui ont eu le plaisir de lire Le Pays d’où l’on ne revient jamais savent qu’il va y avoir, dans la minutie d’une écriture touchante, un beau voyage.

« pépé et mémé immobiles, dans leur cité des Douanes »

Ils étaient de l’Est est un voyage qu’un petit-fils fait sur les traces de ses grands-parents, en Moselle et dans les Vosges. C’est une manière de biographie d’une famille et, aussi, d’une région. Car enquêter sur les siens c’est enquêter sur les lieux où ils ont vécu et dans leur histoire propre. Et reconstruire la sienne. Ce pays-frontière qui est partiellement germanique, tout comme sa famille, ce qui aura, à une certaine époque, un sens particulier… Un aïeul mystérieusement disparu dans une mine, des envies, des histoires d’ici pour ceux qui n’auront jamais quitté leur village, et d’ailleurs, pas si loin… Julien Thèves redevient par l’écriture le petit garçon qu’il était et tente de revivre ce que furent les moments heureux passés pendant les vacances scolaires. Son père, son oncle, ses grands-parents, toute cette branche familiale qu’il va suivre. Julien Thèves se replonge dans les années 80, et nous y projette avec la même émotion qu’il a eu en les vivant. Il réussit à mettre son lecteur n proximité immédiate de ses émotions, qu’ils soient nés des paysages, des moments en famille ou même des longs moments d’ennui, et c’est remarquable.

Sur le modèle proustien, peut-être, Julien Thèves alterne du côté de chez la famille paternelle et du côté de chez la famille maternelle, et tisse ces moments, ces paysages, et le récit contemporain qu’il fait en marchant sur ces lieux de sa mémoire ou de celle qu’il a reconstruite à partir des photographies familiales, dans les albums ou posés sur les meubles.

L’enracinement

L’enracinement est une notion théorisée par la philosophe française Simone Weil (1). Il ne s’agit pas seulement d’une question d’appartenance nationale ou territoriale, mais aussi d’inscription dans une histoire, une langue, une culture. On lit Ils étaient de l’Est avec cette conviction d’être emporté par l’auteur dans cette émotion puissante de faire, nous aussi, racines de son enfance. Cette nostalgie n’est pas mélancolique, elle est heureuse, parce qu’elle permet une compréhension et une construction.

Construction de soi par la compréhension de son origine. Ils étaient de l’Est est donc aussi un voyage initiatique au terme duquel la révélation apparaît et recompose les éléments disparates pour les harmoniser. « Enfant, ça me semblait laid. Mais aujourd’hui, ça m’attire », ce qui ne signifie pas que c’est devenu beau, mais que c’est tellement chargé de ses émotions qu’il y trouve plus de beauté qu’il n’en vit dans sa jeunesse, quand il s’agissait que de la Moselle rurale la plus frustre. Aujourd’hui, c’est son pays.

Il y a beaucoup de récits qui tentent de nous projeter dans les pas d’un voyage en enfance. Mais peu ont la force d’émotion de Ils étaient de l’Est. La langue y est pour beaucoup. Pas d’effets affectés, pas de contrainte du lecteur ni de voyage impossible à concevoir. Tout se dispose avec simplicité, élégance, et ce naturel qui séduit immanquablement.

Loïc Di Stefano

Julien Thévès, Ils étaient de l’Est, abstractions, mars 2025, 187 pages, 19,99 euros

(1) L’Enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, publié en 1949 par Albert Camus dans la collection « Espoir » qu’il dirigeait chez Gallimard.

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