Le Parti pris des animaux, une philosophie du vivant
Huit textes écrits entre 2003 et 2011 ayant pour point commun “de tenter d’aller au-devant de leur silence [aux animaux] et de tenter d’identifier ce qui s’y dit”. Voici ce qui fonde le recueil Le Parti pris des animaux de Jean-Claude Bailly, une quête magnifique du silence, non pas des choses tues, mais de tout ce qui se dit dans ce que l’homme n’entend pas.
Rêverie philosophique
A la manière d’un Bachelard examinant le vivant, ce divers, Jean-Claude Bailly s’interroge sur le sens du discours animal et, plus largement, à l’infini des signes de la nature que l’homme préfère dire silencieuse parce qu’il ne les saisit pas.
Tout expose au mystère du vivant, de l’étant, même la pierre, degré zéro de la vie selon Heidegger, mais la pierre même répond à la vue, au toucher, à la vibration, elle est un élément de la nature inclut dans le rythme général et en constant mouvement. La pierre, la moindre pierre, même, est substantielle. Et la nature a développé d’infinies possibilités pour les animaux de s’exprimer, qu’il reste à entendre.
Invitant la pensée philosophique à devenir une rêverie au contact de la nature, une rêverie de la nature même dans ce qu’elle témoigne; Jean-Claude Bailly propose un chemin à la beauté poétique indéniable, et à la force de réflexion puissante. Il replace l’homme dans un contexte plus large, c’est-à-dire qu’il le limite et, à la fois, l’étend dans l’infini des possibles, à la condition qu’il fasse l’effort de devenir un être-dans-la-nature. C’est en ce sens une très grande réflexion écologiste.
Le Monde du Silence
Comme le montrait autrefois Jacques-Yves Cousteau pour les fonds marins, la nature silencieuse bruisse, vibre, vit, considérablement. Que les animaux ne parlent pas, du moins sur le modèle humain, c’est certain, mais les dits sont innombrables. Et c’est également un signifié réel que le silence animal se fasse quand la présence humaine est constatée, comme dérangeant un ordre supérieur, magique, un secret chuchoté qui doit échapper à la menace que l’homme seul représente.
Ce silence est aussi une matière. C’est à partir de l’expérience de John Cage et de son œuvre 4’33” que Jean-Claude Bailly réfléchit à l’épaisseur, à l’existence sonore du silence. Comme du vide, car le vide sensoriel absolu, comme dans un caisson d’isolation, laisse entendre le bourdonnement, les palpitations, les flux et reflux intérieurs. Ainsi le vide ne l’est-il jamais tout à fait. Ainsi le silence n’est qu’un incapacité à percevoir ce qui est. Ainsi m’homme, perfectible, se montre bien arrogant quand il affirme connaître le vivant, s’il n’en comprend pas la richesse.
Comme le titre y invite, par la proximité évidente, Le Parti pris des animaux s’inscrit dans la même démarche que Francis Ponge, d’ailleurs cité dans le chapitre “Les animaux sont des maîtres silencieux”, dans son Parti pris des choses : prendre le parti des animaux, mais surtout en prendre son parti, les considérer indépendamment de soi, de l’homme, ou de l’homme civilisé et ne regarder l’homme que comme un élément (perturbateur) de la nature même, ensemble cohérent de mondes mouvants. La beauté de l’expérience tentée par Jean-Claude Bailly est d’atteindre la part inaccessible aux schémas traditionnels et humains de la communication pour comprendre tout ce qui se dit dans le plus profond silence des animaux.
Le Parti pris des animaux est un ouvrage essentiel, aussi beau à l’âme du lecteur que riche pour son esprit. Et il ouvre tant de perspectives !
Loïc DI Stefano
Jean-Claude Bailly, Le Parti pris des animaux, Christian Bourgois éditeur, « Satellites », avril 2024, 150 pages, 7,80 euros