Stefano Scrima, Philosophie du canapé

Stefano Scrima est un philosophe italien qui prend la pensée du côté ludique. Auteurs de nombreux ouvrages non encore traduits mais dont les titres déjà sont une promesse d’esprit et de légèreté (Vaines tentatives pour vendre ton âme au Diable, Socrate sur Facebook…), il propose avec Philosophie du canapé bien plus qu’une aimable une promenade autour de son divin divan.

à propos d’un meuble

Jouant avec l’histoire et l’étymologie, Stefano Scrima porte le canapé aux nues, en faisant le sommet de l’art mobilier. Et il le place comme point central de l’habitat aussi bien que de la pop culture, citant Friends ou les Simpsons. Il en fait l’accessoire indispensable du psychanalyste aussi bien que le lieu propice à lire de la poésie, en compagnie de son chat. Il l’oppose à la chaise trop raide et studieuse et au lit même, que Proust transforma en bureau et John Lenon en barricade, et il rappelle qu’il est même devenu à part entière personnage de roman, chez Crébillon fils, et acte révolutionnaire valant condamnation. C’est dire s’il en fait le point culminant de la civilisation.

Il s’en sert pour faire, après d’autres (Sénèque, Lafargue, Bertrand Russell), l’éloge de l’oisiveté. Ce moment doux consacré à soi seul. Ce moment qui devrait être le seul but de toute existence humaine, cet animal, mais que la société regarde de travers et transforme en faute. Comme si la raison de vivre même était devenue un pêché !

Plus qu’une philosophie du canapé à proprement parlé, c’est un éloge de cet élément indispensable à l’oisiveté, le vrai but de l’homme. Sur un ton détendu, souvent drôle, il pose que l’oisiveté dont le canapé est le trône est le point de naissance de la philosophie même, et que sa liberté en dépend aujourd’hui.

Philosophie du non-agir

Je me rendis compte que le travail me dérobait le temps et surtout l’énergie nécessaire aux activités qui me rendaient heureux : lire, écrire, jouer de la musique, sortir avec des amis ; et surtout je me rendis compte que ce n’était pas juste, du moins ce ne l’était pas (et ce ne le sera plus) pour moi. D’où ma rébellion, ma paresse comme révolution, ou ma révolution sur un canapé dont ce livre est le manifeste.

Ce qui commence comme une pochade de philosophe de canapé, comme il y a des philosophes de comptoirs, se déploie petit à petit en une critique du travail comme système d’asservissement. L’aliénation de l’homme avait besoin d’esclaves, aujourd’hui de salariés. Il reprend à son compte le pamphlet de Paul Lafargue (1842-1911), Le Droit à la paresse : Réfutation du droit du travail,

Et son grand modèle de résistant passif — à l’image du chat, « notre maître à tous dans [le] non-agir » — c’est Charles Bukowski, son maître même. Et le sous-titre est à sa mesure : Comment vivre une vie détendue. Bukowski écrivait pour le plaisir et pour avoir de quoi manger (et surtout boire), passait des jours entiers à ne rien faire et savourait chaque moment. Il est l’image de la décontraction absolu, du rien-à-foutre.

Offrant son heure de gloire aux paresseux (1), Philosophie du canapé est un manuel de combat contre le productivisme asservissant, contre l’usine, contre le diktat des nantis qui transforment les hommes en classes laborieuses, trop épuisées par les heures de travail — qui, selon le linguiste Alain Rey serait étymologiquement dérivé de tripalium, torture… — pour jouir de l’existence. La vie devrait non pas être de courtes périodes de repos entre d’insensées séances de labeur, mais un long et délicieux repos. Ainsi rêve le canapéphile Stefano Scrima !

Loïc Di Stefano

Stefano Scrima, Philosophie du canapé, Comment vivre une vie détendue, traduit de l’Italien par Philippe Audegean, Rivages, juin, 120 pages, 16 euros

(1) Dont la version populaire pourrait être Alexandre le bienheureux.

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