L’immunité merveilleuse, il ne faut rien en céder

Ce livre est le poème d’un homme fait – en voie de se défaire. Une méditation sur l’existence ; sur ce qu’on a fait et que l’on fera d’une vie, la nôtre. D’entrée la problématique est posée, tout à fait d’actualité :

Ce sont des temps mauvais qui n’en finissent

pas de se plisser et se replisser sur eux-mêmes.

Des vents délétères soufflent sans trêve.

D’où la devise :

Ne te fie à personne, crée tes anticorps

À la vie !

Le programme que s’est donné l’auteur, ou plutôt l’homme qu’est l’auteur peut se résumer à ceci : devenir l’artiste de sa vie. Envers et contre tout, il s’agit d’une lutte permanente :

Si nous n’avons que peu de pouvoir

sur ce qui survient, le désastre,

le drame, l’aubaine ou l’accalmie,

[…]

Celui qui explore et exploite ses propres

possibilités devient l’artiste de sa vie

Il faudrait pour y parvenir suivre certaines résolutions qui sont autant de titres des poèmes ici réunis, notamment : « ne pas être un autre », et pour cela se méfier des « jardins d’acclimatation » qui nous voudraient tous pareils. Donc ne faire « rien comme tout le monde », mais seulement « à sa guise, à son aise ». « Redevenir seul », ce n’est pas mal…  En synthèse :

Adopte alors une nonchalance inouïe,

celle d’un funambule dansant sue

celle d’un funambule dansant sur le fil de sa vie,

afin de jouir d’une immunité merveilleuse

En notre brumeuse époque, on pourrait certes s’interroger sur ce retrait du monde, qui donne à entendre que toute lutte autre qu’intime serait vouée à la défaite. Jusqu’à peu, je n’étais pas loin pas loin de partager sa position. Jean-Pierrre Otte parle d’un « regard vers le large », pour ma part je pensais que l’écriture ne devait mener ni pour, ni contre, mais ailleurs… Pourtant, en temps de guerre, des auteurs comme Éluard ou Aragon écrivirent des poèmes de combat… Devra-t-on en arriver là ?

À la mort !

Il est vrai, notre poète est d’un âge certain, il est temps pour lui de « mériter sa mort »:

C’est d’un coup d’ongle qu’il te faudra

trancher la très fine amarre qui te tient en cette vie,

Pour, à bord d’un corps se décomposant à mesure,

T’en aller l’esprit vacant en exil d’éternité.

Un mérite qui n’a rien de certain, le bilan de ses soixante-quatorze années de vie semblant contrasté :

Cet homme entre deux âges,

qui s’achemine sous un ciel d’orage,

avec ses fautes, ses défauts, ses failles

et la mémoire de quelques vilenies envers la vie,

il vient de si loin, des sources profondes,

en même temps d’un passé proche, oppressant.

Que l’orage éclate et le délivre de tout.

… j’ai nommé ces textes « poèmes », on pourrait aussi bien les qualifier de prose découpée en lignes, en vers. On n’y trouve rien de l’arrière-pays cher à un Yves Bonnefoy, ni du jouir qui fait le poème pour une Martine Broda. Selon moi, seules leur intensité, leur sensualité leur confèrent une dimension poétique… Ce n’est pas l’avis du jury du prix Max Jacob qui l’a distingué en 2023 à l’occasion de son livre Sur les chemins de non-retour (éditions de Corlevour) où, déjà, il était question de ceux qui veulent en finir avec ce monde, rompre tous les ponts.

Jean-Pierre Otte est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages ayant trait aux mythologies de l’origine, aux rituels amoureux du monde animal. Grand vivant, il savoure l’ivresse de tous les pistils, et célèbre donc Les Naissances de la femme… Il est également peintre : on lui doit la couverture de son livre.

Mathias Lair

Jean-Pierre Otte, L’immunité merveilleuse (aventure sans alibis), éditions Sans escale, juin 2024, 98 pages, 15 euros

Laisser un commentaire