Terry Tempest Williams, Quand les femmes étaient des oiseaux

Naturaliste issue de la communauté mormone, Terry Tempest Williams est une activiste engagée pour la défense de la nature et la défense des droits des femmes. Et elle reste ancrée dans sa culture mormone, dont elle défend les valeurs et le territoire. Après Refuge, publié en 2012 chez Gallmeister et consacré à la force des paysages qui nous constitue, les éditions Phébus publie un très beau récit sur le rapport à la mère et aux voix qui nous construisent, Quand les femmes étaient des oiseaux.

Des carnets vides

Quand j’ai ouvert les carnets de ma mère, que j’y ai lu le vide, celui-ci s’est traduit en désir, en cette même faim, cette même soif que Maman m’avait transmise. Je ré-écrirai cette histoire, je créerai ma propre histoire sur les pages des carnets de ma mère.

À son décès, la mère de Terry Tempest Williams lui confie ses carnets, une étagère pleine. Mais tous sont vides. Après la surprise, « ma mère tenait un journal vierge », elle comprend que c’est avant tout un cadeau immense. Car c’est à elle de les remplir, et pour cela d’écouter toutes les voix dont elle est pleine. Et, à terme, enfin, la sienne propre.

La voix, essentielle, comme le guide de toute sa vie, de sa mère. Mais aussi celle de sa grand-mère, et des femmes mormones dont les fonctions traditionnelles sont de faire des enfants et d’écrire la vie de la communauté. Ecrire, comme un héritage, encore. La voix de ses enfants, des femmes qu’elle rencontre et pour lesquelles elle va se battre.

À travers toutes ses expériences de femmes et de militante, Terry Tempest Williams en vient à la conclusion : « Les carnets de ma mère sont un geste et une promesse. » C’est en les reprenant, vides qu’ils étaient et pourtant si tant chargés, qu’elle fait le décompte des voix qu’elle a pu connaître. Celles qu’elle a entendu — sa mère, la nature, les oiseaux, les enfants auxquels elle enseignait, les politiciens veules — et la sienne propre, dans son évolution.

Journal d’un combat politique

La conversation est le moteur du changement. Nous testons nos idées. Nous entendons notre propre voix de concertt avec une autre. Et, dans ces pauses où nous écoutons, nous nous approchons de nouveaux territoires de pensée. Une bonne dispute, ou une discussion si l’on veut, nous libère. Les mots volent de nos bouches comme des oiseaux effarouchés. Une fois relâchés, ils ne reviendront peut-être jamais. Et s’ils reviennent, les mots-oiseaux auront choisi leur maison et, apaisés, ils se transformeront en art poétique.

Quand les femmes étaient des oiseaux est aussi un texte politique. Et la voix de Terry Tempest Williams est plus forte quand elle se fait militante, et acerbe. Le comportement des politiciens traitres à la cause essentielle pour elle de la protection de la nature est une source de colère. Source de joie, déterminante pour sa vie de femme et de militante, la rencontre avec la kenyane Wangari Muta Maathai, biologiste et militante féministe, pacifiste et écologiste, première femme africaine à recevoir en 2004 le prix Nobel de la Paix pour « sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix ». C’est avec sa mère, le grand modèle de Terry Tempest Williams. Elle sera, comme elle, militante féministe et protectrice de la nature.

Quand les femmes étaient des oiseaux est un texte d’apparence décousu, qui ne suit que la mémoire mais va crescendo des silences aux voix de l’opéra, des bruits infimes de la nature et des oiseaux, des vagues, au tumulte de l’action politique. On suit Terry Tempest Williams dans ses combats pour devenir elle-même, la manière dont elle enseigne, puis les causes qu’elle défend. C’est un chemin de vie tellement riche et inspiré raconté avec une modestie admirable. Et la langue est d’une beauté poétique remarquable.

Loïc Di Stefano

Terry Tempest Williams, Quand les femmes étaient des oiseaux, traduit de l’anglais (USA) par Gaëlle Cogan, Phébus, avril 2024, 256 pages, 21,50 euros

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