Civil War : avis sur un regard pas vraiment pertinent

Dans un futur proche, une nouvelle guerre civile éclate et ravage les USA.  Deux reporters décident de se rendre à Washington, épicentre du conflit, flanqués d’une novice et d’un confrère proche de la retraite. Le début d’un périple au cœur des ténèbres.

Scénariste prisé et depuis quelques années réalisateur en vogue, Alex Garland appartient à cette génération d’artistes qui a forgé sa réputation en mimant le travail de ses illustres aînés et en dissimulant ses limites à travers une écriture faussement ciselée. Ses scripts de 28 jours plus tard ou Sunshine copient respectivement Richard Matheson et Event Horizon (avec beaucoup de Kubrick) ; Ex Machina n’égale en rien Blade Runner, 2001 ou Ghost in The Shell et Annihilation pêche par ses chausse-trappes sous forme d’ellipses dépourvues d’élégance.

Pourtant, son ambition et son désir sincère de bien faire rejaillissent par moments dans sa filmographie. Mais, hélas, Alex Garland veut absolument montrer (prouver ?) qu’il est un authentique auteur et dissémine les pièces ostentatoires d’un puzzle artificiellement complexe dans un unique but : laisser le public décrypter un canevas parfaitement compréhensible malgré un écran de fumée généré par ses soins, afin de valoriser son intelligence supposée à travers celle du spectateur. Un procédé sophistique trop souvent employé aujourd’hui…

Bien entendu, il pourrait à s’affranchir de cette démarche fallacieuse, mais il est peut-être trop tard. Les prises de risque et idées intéressantes se tapissent dans un conglomérat visuel bien balisé et tapageur. Néanmoins actrices et acteurs de talent semblent conquis par sa méthode, à commencer par Oscar Isaac et Natalie Portman. Et c’est désormais au tour de Kirsten Dunst de rejoindre les rangs de sa distribution, à l’occasion de Civil War, un long-métrage d’anticipation traitant d’un sujet brûlant et discordant. Alex Garland s’aventure donc en terrain miné (c’est le cas de le dire) quitte à sombrer définitivement dans ses écueils. Si son entreprise s’avère louable et ses efforts notables, la marche se révèle bien vite trop haute. Une confirmation en aveu d’impuissance…

L’ombre de Joe Dante

Trois blessures hantent l’inconscient collectif du peuple américain, trois plaies béantes qui ont laissé une trace indélébile dans l’Histoire. Deux d’entre elles ont fait vaciller le statut de superpuissance invincible de la nation, La Guerre du Vietnam et les attaques du 11 septembre 2001. Quant à la plus ancienne, elle résulte d’une crise profonde qui a déchiré le pays et a engendré depuis moult fantasmes et idées reçues. La Guerre de Sécession (1861-1865) a ainsi remis en question les fondamentaux et libertés chèrement acquises lors de la quête d’indépendance des pères fondateurs, provoquée par des motifs autant humanistes qu’économiques (l’abolition de l’esclavage permettait de s’émanciper de l’hégémonie de la culture du coton).

Divisant les frères, les voisins, les compatriotes, ce conflit civil (qualifié de première guerre industrielle) rappelle que le système yankee, reposant sur un équilibre fragile, peut s’effondrer à tout moment, abattant, de fait cet empire (mais après tout, selon l’intitulé de l’ouvrage de Jean Baptiste Duroselle, Tout empire périra). Et la marche des partisans de Donald Trump sur le Capitole en janvier 2021 a ravivé des événements que l’on aimerait enfouis à jamais. Or, dans une période où ce pays est plus que jamais fracturé, Alex Garland a cru bon de se concentrer sur cette problématique, à ses risques et périls.

D’ailleurs, il n’est point le premier. La culture populaire et le comic book (avec une adaptation en prime au cinéma) s’est emparé de la question avec la saga Civil War signée Mark Millar pour Marvel. En outre, le talentueux Joe Dante, avait accouché en 1997 d’un téléfilm tourné pour HBO très efficace et distribué en salles en Europe, The Second Civil War, qui narrait avec ironie et lucidité la désagrégation du tissu sociétal américain, dévoilant les germes d’une nouvelle Guerre de Sécession. Véritable œuvre prophétique, le long-métrage pointait du doigt les excès idéologiques de tout bord, entre communautarisme exacerbé et débordements réactionnaires.

Les événements, couverts par un groupe de journalistes dans leur bureau feutré, conduisaient à une escalade catastrophique. Le savoir-faire de Joe Dante et la touche d’absurde instillée à l’ensemble contribuaient à la réussite de The Second Civil War, lui conférant d’emblée un statut culte. Cette finesse d’approche fait défaut malheureusement au film d’Alex Garland en dépit d’efforts notables, mais bien trop poussifs.

Breaking News

Sur le papier, Civil War se poserait presque en prolongement naturel du film de Joe Dante puisqu’il propose de suivre le travail des reporters sur la ligne de front et se préoccupe plus des conséquences que des causes de la guerre. Alex Garland opte pour une simplicité d’écriture déconcertante pour ses protagonistes, un recours à la facilité auquel il nous avait peu habitué, entre la photographe vétéran goguenarde et blasée, mentor malgré elle, la jeune apprentie aux dents longues, le futur retraité et le beau parleur habile. Néanmoins, ces stéréotypes ont le mérite de fonctionner et leurs interprètes, Kirsten Dunst en tête, délivrent une prestation tout à fait convaincante, bien que peu originale.

En s’accordant à un plan rigoureux, mais peu surprenant, ils peinent à nous émouvoir et le recyclage estampillé Alex Garland saute aux yeux irrémédiablement. Ce road movie dans des paysages post-apocalyptiques se contente des poncifs d’usage tandis que les haltes de la petite équipe en terre inhospitalière ne sont prétextes qu’à des situations maintes fois vues, avec quelques explosions de violence sourde à l’appui pour bien impressionner le chaland. La première confrontation de l’apprentie photographe en herbe avec l’horreur ne donne même pas lieu à un effort de mise en scène alors que la conversation entre un bourreau et ses victimes (tous liés par un passé commun) ne se hisse pas au niveau d’un dialogue quasi similaire dans le No Man’s Land de Danis Tanovic.

La terreur provient généralement de la surprise à l’écran, surtout dans un tel contexte et ici Civil War, malgré une très belle photographie, emprunte des chemins balisés, dénudant ainsi son apparat sophistiqué. On se souvient alors de la virée en voiture dans des conditions identiques, déjà vu dans Les Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron, tourné en plan-séquence (à bon escient pour la circonstance) et du drame qui la ponctue. Alex Garland n’effleure jamais cette virtuosité pour se complaire dans la photocopie de luxe, à l’image de l’arrivée des hélicoptères, sortie tout droit d’Apocalypse Now.

Et lorsqu’il se concentre sur les enjeux moraux de son dispositif, il préfère botter en touche et se vautrer dans le sensationnalisme. Johnnie To avait critiqué cette dérive de la presse avec Breaking News et Civil War aurait pu se calquer sur cette réflexion. Cependant, la réplique de Kirsten Dunst, glaçante ou navrante au choix, définit l’état d’esprit du réalisateur. « Nous sommes témoins, aux gens de juger ! ». Or, il omet ici un détail crucial sous couvert du prétexte d’objectivité ; la vérité se situe dans le regard de l’observateur et même ses protagonistes se plient à cette assertion, balayant toute neutralité.

Quies custodiet ipsos custodies (1)

Par conséquent le constat est clair et ne plaide pas en la faveur d’Alex Garland. Civil War est tiraillé entre le pamphlet antimilitariste, un discours sociétal sous-jacent et une critique du voyeurisme dont nous faisons preuve, avec la complicité des médias (mais aussi désormais des réseaux sociaux). Le réalisateur ne désire se fâcher avec personne tout en affichant explicitement ses engagements et se perd ainsi en conjectures pendant que son récit se dilue dans le théâtre des combats Il pouvait interroger sur l’éthique même de la profession journalistique ou sur la manière d’informer en général, au-delà du scoop et sur les sacrifices exigés en retour mais il n’en est rien.

Le cinéaste se contente alors d’un “oui la guerre c’est mal”, il y a finalement ici peu d’innocents et ceux qui s’en lavent les mains sont accablés par leur descendance. Vous l’aurez saisi, Alex Garland ne nous apprend rien et échoue qui plus est dans son exposé sur la violence, sa gratuité et le dégoût qui en découle. Illustratif au possible, il érigerait presque son objet d’étude en spectacle pour mieux se coller aux velléités des ses protagonistes.

Or, un dispositif aussi ostentatoire, recèle parfois en son sein des trésors de subtilité. Mais ici il n’en est rien. On se remémore dans ces instants la maîtrise de Stanley Kubrick et de son Orange Mécanique ou celle de Clint Eastwood dans Impitoyable et des mots désabusés du Kid (“lorsqu’on tue un homme, on lui prend tout ce qu’il a et tout ce qu’il n’aura jamais”). Une maîtrise jamais atteinte par Civil War et Alex Garland, malgré les débauches visuelles chic et choc.

Et c’est fort regrettable car un long-métrage de la sorte requérait davantage de finition sur le fond et sur la forme, tant certains des points abordés se distinguent dans une triste actualité. En refusant l’empathie et l’absurde adopté par Joe Dante ou le rejet par l’antithèse d’un Eastwood ou d’un Kubrick, Alex Garland commet l’erreur de s’appuyer sur un froid réalisme sans s’octroyer un recul indispensable.

François Verstraete

Film américain d’Alex Garland avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny. Durée 1h49. Sortie le 17 avril 2024

(1): locution latine signifiant “qui me gardera de mes gardiens?”.

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