Le Château Solitaire dans le Miroir de Keïchi Hara, contes amers de la jeunesse
Pour d’obscures raisons, Kokoro, une adolescente japonaise refuse d’aller en cours, soutenue par sa mère et par un professeur dans sa démarche. Un beau jour, alors qu’elle reste cloîtrée dans sa chambre, son miroir se met à scintiller et elle est projetée dans un mystérieux château. Elle se retrouve aux côtés de six autres jeunes d’un âge équivalent. Leur hôte, l’étrange Reine-louve leur explique que s’ils se soumettent à un défi et s’ils l’emportent, l’un d’entre eux pourra concrétiser un vœu. Le début d’une singulière histoire…
La sortie du Château Solitaire dans le Miroir permet de dresser un bilan du cinéma d’animation japonais en 2023 et d’observer l’évolution du genre depuis plus de quarante ans. Et force est de constater que depuis que le média s’est distingué en Occident à la fin des années quatre-vingt par l’intermédiaire d’Akira, il n’a cessé de s’adapter à son époque, changeant ses préoccupations, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de réalisateurs.
En effet, l’anime ne repose plus uniquement sur les dystopies futuristes chères à Mamoru Oshii et Katsuhiro Otomo ou sur les fables d’Hayao Miyazaki, depuis que le défunt Satoshi Kon a ouvert un champ de possibles avec Perfect Blue et surtout Millenium Actress. Sur grand écran, le film d’animation nippon peut très bien se décliner sous la forme de drames poignants, même si l’aspect allégorique et fantastique n’est jamais très loin. Mamoru Hosoda, Makoto Shinkai et Keïchi Hara ont particulièrement brillé dans cet exercice ces dernières années. Et au passage, ils ont souvent profité de l’occasion pour portraiturer l’état de la jeunesse du pays avec authenticité et mélancolie.
Keïchi Hara justement revient avec Le Château Solitaire dans le Miroir dans le but de tirer la sonnette d’alarme face à une situation tragique qui frappe les adolescents (et pas seulement au Japon). Il n’hésite pas à utiliser contes populaires (par exemple Le petit chaperon rouge comme l’avait fait Okiura pour Jin-Roh), éléments littéraires classiques (Alice au pays des merveilles) et un soupçon de science-fiction afin d’appuyer son dispositif lyrique. Un curieux cocktail qui a le mérite d’intriguer même si en le concoctant, le réalisateur risque à tout moment de perdre de vue son objectif initial d’autant plus que la narration binaire traditionnelle au demeurant souffre d’un vrai déséquilibre.
De l’autre côté du miroir
En effet, Keïchi Hara délimite son récit de manière très distincte ; le temps s’accélère au sein du château alors que dans le monde réel il s’écoule plus lentement s’accordant au calvaire vécu par Kokoro au quotidien. Dans le domaine enchanté, les différents protagonistes tissent des liens d’une nature dont ils ignorent complètement l’existence à l’extérieur. Or, ce n’est pas dans cette construction relationnelle que le metteur en scène semble le plus à l’aise, tant certains clichés pullulent tandis que tous se détournent de la fameuse énigme, de la quête de la clé à même d’exaucer leur désir le plus cher.
En revanche, le cinéaste affiche bien plus de maîtrise quand il se concentre sur les souffrances endurées par Kokoro, sur son silence et sa culture du secret. On ressent le malaise de l’héroïne, sa détresse par une certaine absence d’intensité. L’expression « morte de l’intérieur » est parfaitement retranscrite. Le réalisateur nourrit les enjeux par des non-dits bienvenus (la présence hors champ du père souligne son incompréhension vis-à-vis du comportement de sa fille) même si son emploi de la litote s’avère maladroit par instants. La tonalité devient plus lourde et Keïcha Hara embrasse alors pleinement son sujet, plus que jamais d’actualité. Sans doute la plus grande réussite du long-métrage.
Cette réussite aurait pu d’ailleurs s’étendre à la caractérisation des compagnons de Kokoro ; hélas, l’aspect choral du film est traité de façon rudimentaire en raison du schéma scénaristique et des révélations en cascade qui vont surgir dans la dernière demi-heure. Les uns et les autres, définis par un traumatisme caché, sont réduits à des personnalités trop sommaires jusqu’à la conclusion et c’est bien dommage. Dès lors, les failles du système se dévoilent au rythme des retournements de situation.
Dédale des souvenirs
Il faut dire que l’histoire se base pour l’essentiel sur des souvenirs enfouis dans les ténèbres et qu’une fois éventé, l’artifice s’efface au profit d’un triste tableau. Ainsi on s’aperçoit que Keïchi Hara s’est perdu dans les méandres de son projet, prisonnier de ses propres ambitions puisqu’il ne parvient jamais à lier les éléments surnaturels et merveilleux à son discours social. Le Château Solitaire dans le Miroir repose plus sur un édifice fragile de cartes superposées que sur de réelles fondations équilibrant l’ensemble.
Certes, il fait montre de bonnes intentions, mais manque de retenue, préférant tirer au maximum sur la corde sensible dans les ultimes minutes, une posture irritante car trop belle pour être sincère. Pourtant, le long-métrage possède ce petit plus de séduisant en diable, ce facteur hypnotique qui prend aux tripes et au cœur et berce le spectateur avec une musique à la fois énergique et pompeuse. Il aurait été souhaitable pour Keïchi Hara de repenser la structure et de privilégier le côté organique plus fédérateur et adéquat ici.
En lieu et place d’un travail parfaitement élaboré, le réalisateur accouche d’un brouillon fourmillant d’idées passionnantes, mais désordonnées. L’élève qui aspire à un statut plus important devra encore progresser pour devenir une figure majeure de son art.
François Verstraete
Film d’animation japonais de Keïchi Hara avec Shingo Fujimori, Rihito Itagaki, Yûki Kaji. Durée 1h56. Sortie le 6 septembre 2023