Sicario ‒ La Guerre des cartels

Vice sans fin ?

« Glaçant », ont dit certains à propos de Sicario ‒ La Guerre des cartels. Oui, glaçant, sans doute. Mais ce film noir ne s’interdit pas de résister à la mort en introduisant à plusieurs reprises, discrètement mais sûrement, le motif de la résurrection.

L’affiche de Sicario 2 rappelant furieusement celle de Sicario 1, on a failli croire qu’il s’agissait tout simplement, à l’approche de l’été, d’une « reprise ». Mais on se trompait d’autant plus que, nonobstant les déclarations du scénariste Taylor Sheridan visant à démontrer que ce 2 est le prolongement « naturel » du 1, il n’est même pas sûr que les deux films forment à proprement parler un diptyque, certaines métamorphoses étant bien trop belles pour être vraies.

À moins que ces métamorphoses ne constituent précisément le cœur même du sujet…

Si l’intrigue n’est pas toujours d’une clarté absolue dans le détail, elle est dans son principe très simple. C’est celle qu’on a vue dans plusieurs « Bond », lorsque le méchant Blofeld s’appliquait à semer la zizanie entre Américains et Russes, ou entre Anglais et Chinois, en faisant dans chaque cas croire aux uns que les catastrophes provoquées en réalité par lui, Blofeld, étaient l’œuvre des autres ‒ et inversement. Stratégie vieille comme le monde : diviser pour mieux régner.

 

Alejandro (Benicio del Toro)

 

Le méchant, ici, n’est autre que les États-Unis, à cette nuance près que les victimes de la manipulation sont des méchants bien pires encore. Une série d’indices conduisant à penser que certains attentats islamistes particulièrement meurtriers ont trouvé un soutien logistique auprès des cartels de la drogue ‒ hypothèse que la suite de l’histoire ne confirmera qu’en partie ‒, les services d’intervention américains décident que le meilleur moyen de « faire le ménage » dans ce cloaque frontalier où se mêlent et se bousculent terrorisme, trafic de drogue et trafic d’êtres humains (avec l’immigration clandestine) consiste à déclencher une guerre entre les cartels, comme l’indique le sous-titre français officiel de ce Sicario 2. Parmi tous les « détonateurs » mis en place, l’enlèvement et la séquestration de la (très jeune) fille d’un gros bonnet.

Surgit ‒ fatalement ‒ le grain de sable qui va rendre nécessaires des opérations de nettoyage d’une envergure de plus en plus grande, non prévues au départ, bien sûr. D’où de multiples scènes spectaculaires : poursuites de voitures avec cascades à gogo, ballets d’hélicoptères, sauts en parachute, explosions fracassantes… Mais tout a une fin, même les escalades, car arrive un jour où l’on ne peut pas grimper plus haut que le sommet de la montagne. Ou, pour dire les choses plus simplement, arrive le jour où le vice se révèle être une impasse, ne serait-ce que parce qu’il devient trop fatigant.

 

Matt Graver (Josh Brolin)

 

Ce Sicario est réalisé au cordeau par Stefano Sollima, qui s’affirme ici comme le digne successeur de son père, Sergio Sollima, l’un des grands maîtres du western italien. Il fallait se méfier de ce Sergio : c’était un fourbe de la pire espèce ‒ un fourbe honnête. Dans Le Dernier Face à face ‒ son chef-d’œuvre ‒, il nous faisait assister à la transformation progressive du vertueux professeur d’histoire et de philosophie interprété par Gian Maria Volontè en sinistre crapule. Fort de sa supériorité intellectuelle, ce professeur ne résistait pas au plaisir de montrer aux soudards qui l’avaient enlevé qu’on pouvait attaquer les banques et violer la loi d’une manière bien plus efficace, bien plus scientifique qu’ils ne le faisaient jusque-là. Et il finissait par se prendre lui-même au jeu. Mais la fin nous révélait que cette métamorphose nous en avait caché une autre, plus discrète, mais bien plus profonde, à savoir celle du barbare hystérique ‒ incarné par Tomas Milian ‒ qui était à la tête de la bande en homme civilisé. Parce que, répétons-le, le vice, comme le capitalisme-selon-Marx, porte en lui-même ses propres contradictions et n’est pas extensible à l’infini.

 

Alejandro (Benicio del Toro)

 

Même structure narrative, même surprise humaniste dans Sicario ‒ La Guerre des cartels. Mais cette surprise ne laisse pas d’être parfaitement rigoureuse, car, comme dans tous les opéras bien composés, tout était déjà dit dans la scène d’ouverture, avec ses quatre terroristes débarquant dans un supermarché pour semer la mort en se faisant exploser. Ne rêvez pas : ils sèmeront la mort ; ils se feront tous exploser. Mais, si trois d’entre eux tirent sur la poignée de leur détonateur sans attendre et presque au même moment, le quatrième, si l’on peut dire, est à la traîne : la caméra s’approche de lui et nous révèle que la prière qu’il est en train de réciter ne l’empêche pas d’être mort de peur avant de mourir tout court. Ne se demande-t-il pas si le vrai paradis ‒ le mot apparaîtra un peu plus tard dans une réplique ‒ ne serait pas celui qu’il convient de construire ici-bas, au pays des hommes, bien plutôt que celui que certains entendent trouver dans l’Au-delà ?

Tout bien pesé, cette histoire si sombre n’est pas loin d’être à maints égards un feelgood movie, et s’il n’est pas exclu qu’il se passe des choses horribles derrière la porte que ferme à la fin Benicio del Toro, Sollima ne nous interdit pas non plus d’imaginer un happy end « à moyen terme » (grâce que refusait de nous accorder Ridley Scott dans son très éprouvant Cartel). Car la scène la plus marquante de Sicario 2, celle qui restera dans nos mémoires, ce n’est pas une scène d’explosion ou de fusillade ‒ c’est cette étrange « pause » silencieuse où del Toro engage au milieu du désert une conversation avec un sourd-muet et explique à cet interlocuteur, qui s’étonne de le voir parler aussi couramment le langage des signes, qu’il avait dû apprendre ce langage pour communiquer avec sa petite fille, elle aussi sourde-muette, aujourd’hui disparue, mais qu’il fait ainsi renaître. 

 

FAL

Sicario ‒ Day of the Soldado (Sicario ‒ La Guerre des cartels)

Réalisé par Stefano Sollima. Scénario : Taylor Sheridan.

Avec Benicio del Toro, Josh Brolin, Isabela Moner

 

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