Kant, par Alexandre Kojève

Historien de la philosophie, Alexandre Kojève (1902-1968) est l’auteur d’un toujours très estimé Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne. Il y abordait la place essentielle des grands philosophes, ayant contribué au développement de la discipline, mais également au développement de la civilisation occidentale. Parmi eux, outre les pères fondateurs Platon et Aristote, et Hegel, bien sûr, dont il est indéniablement un des principaux maîtres, se trouve Kant. Kojeve a perdu ses écrits sur le philosophe de Kônigsberg, et ce n’est qu’après sa mort, que la matière d’une étude consacrée à Kant a pu être extraite de ses papiers.

Les limites de la connaissance humaine

Alexandre Kojève replace la philosophie de Kant dans l’histoire de la philosophie. Pour lui, Kant est essentiel parce qu’il établit les limites de la connaissance humaine, en posant le principe des phénomènes, ouvrant la voie à la phénoménologie de Husserl et posant ce qui est connaissable par l’expérience (et ce qui ne l’est pas, en l’occurrence les noumènes). Derrière un aspect austère, Kant propose une philosophie humaniste, qui s’écarte de la métaphysique traditionnelle — philosophie des principes inconnaissables — pour se concentrer sur l’expérience et ce qu’il appellera la raison pratique, du domaine de l’agir.

Il reconnaît également à Kant l’importance de son éthique, un rien rigoriste (Nietzsche l’appelait « Can’t »), qui conduit à une pure autonomie du sujet pensant. Ainsi Kant libère l’homme de l’empirisme et de la religion, voire de toute force extérieure, pour le condamner à être libre (selon la formule sartrienne).

En chemin vers Hegel

Malgré l’évidente admiration pour son sujet, Kojève est d’abord un philosophe hégélien. Et c’est en ce sens qu’il considère Kant comme une étape essentielle, dans l’histoire de la philosophie occidentale, conduisant à Hegel. En un sens, Hegel subsume Kant, et ajoute la dimension historique et dialectique dans la compréhension de l’homme et du monde.

Kojève rend ainsi un double honneur à Kant. Le premier est d’avoir su proposer des réflexions fondamentales sur la nature de la connaissance, de la moralité et de la liberté, qui demeurent au cœur dans la philosophie contemporaine. Ainsi Kant est pour Kojève un des grands philosophes de la modernité. Et le second, qui en réduit un peu la portée mais pas l’importance, c’est qu’il permet l’avènement de Hegel, sommet indépassable de la philosophie selon Kojève.

Même si sa lecture est ardue — et complétée de nombreuses notes infrapaginales parfois très volumineuses, cet essai pourra figurer, pour les lecteurs de philosophie déjà aguerris, une manière d’introduction stimulante à l’œuvre de Kant,

Loïc Di Stefano

Alexandre Kojève, Kant, édition établie par Nicolas Rambert, Gallimard, « tel «, mars 2025, 228 pages, 11,50 euros

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